lundi 25 novembre 2019

Rencontre du 28 novembre 2019 : David Dufresne

Rencontre avec David Dufresne
pour son livre Dernière sommation
David Dufresne, écrivain, journaliste et réalisateur est l’auteur d’une dizaine ouvrages d'enquête. Il tient également un blog sur Mediapart*.

Passage à la fiction

« Le livre s’ouvre par une dédicace au signalés et à leurs enfants. Mais d’abord je voudrais savoir si Zoé est présente ? Cette jeune fille a été contrôlée par des policiers devant la gare de Metz parce qu’elle lisait mon livre. (https://www.republicain-lorrain.fr/edition-de-metz-ville/2019/11/23/controlee-pour-la-lecture-d-un-livre-anti-flics). Les seuls livres intéressants sont ceux intéressant la police ! A propos de la dédicace, le livre est un geste pour eux, je les ai accompagnés. Il y a eu deux personne décédées, Zineb Redouane, Steve Maia Caniço, vingt cinq personnes éborgnées, des mutilations, cinq mains arrachées, un testicule…  La dédicace est pour eux et mes enfants, une coquetterie d'auteur.
On a un personnage de journaliste mal rasé, cheveux en bataille, de retour du Canada avec sa compagne, leurs enfants qui trouvent qu'il passe beaucoup de temps à regarder des images de violences. Ça parle du monde de demain. »

A propos de Foucault et du refus de la lâcheté à laquelle nous participons tous plus ou moins : il y a certes le bruit des bottes mais il y a aussi le bruit des pantoufles.

« Ah ! Vous citez Pleynel ! Est-il venu dans cette librairie ? Comme dirait Pleynel : « Il faut penser contre soi même ».  Ça fait quinze ans que je cherche comment raconter de vieilles histoires différemment. L’avantage du roman c’est qu’il n’y a plus de off. Au bout de trente cinq ans de travail journalistique, il y a un sentiment de liberté vertigineux ! Et puis l'urgence ! Il y aura des sociologues qui vont nous raconter tout ça. Mais ça prend du temps. C'est une biographie de l'actualité : malaxer la réalité, le faire au moment où elle se passe. Le plus important c’est que les personnages du livre sont des personnages composites.  C'est très jouissif. Et au fond avec la fiction on peut aller plus près de la réalité, surtout au point de vue du vocabulaire. On passe son temps à revenir sur le texte. La réalité est toujours plus forte que la fiction. Macron aurait été tué c'aurait été un très mauvais livre... il faut être à la hauteur de l'actualité. »

A propos de la déclaration d’Emmanuel Macron : « Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit. »

« Alors Macron ! Cette déclaration est dans le livre, ces mots sont inacceptables ! Non seulement il a le choix des armes mais il a également le choix des mots. La police est extrêmement politisée. En mars 2019 il choisit les mots : tel mot vous ne pouvez pas l'employer ! C’est une bataille du savoir, avec mes Tweets et avec mon livre...
On peut pas laisser passer ça, le récit national cher à Maurras ne doit pas appartenir à Le Pen, à  Zemmour… L'histoire est à écrire par tout le monde. 

Empreinte du réel

« Depuis Tarnac il y a cette idée d'injecter du réel dans le récit. Pour mon livre sur Brel, je pouvais aller à Bruxelles, à Amsterdam, aux Marquises… Et puis finalement : Vesoul ! Je suis resté là bas. Il y a eu des rencontres avec des personnages bréliens et des interviews de Brel : c'est du montage, comme pour le rap, du sampling. C’est NTM, le mouvement dada, et l’hypertexte. En littérature on peut écrire comme au dix-neuvième siècle… ça peut-être pas mal de bousculer un peu ça, cette question : fiction ? Autofiction ? C'est un peu triste. L'essentiel c'est le rythme, la mélodie, je suis un fan de punk rock, pensez aux feuilletonnistes du dix-neuvième siècle, à Céline... On est encore à se poser la question mais  Flaubert à réglé la question : «Madame Bovary, c’est moi ! ».
Les tweets sont éphémères, voici un roman sans vidéo, c’est la force de la littérature de faire imaginer la violence. Autant les appartements du préfet sont décrits assez exactement - la réédition allemande de 1944 a été signé en partie à Montparnasse et en partie dans les appartements du préfet, que j’ai visités lors des Journée du patrimoine – autant le buste de Napoléon c'est une fiction ! Napoléon a créé la préfecture de police de Paris… Je ne décris pas les vidéos, elles sont sur Twitter.  Le cri de Vicky a existé, c’est le cri lancé à Rennes en janvier par Gwendal (Lors d’une manifestation des Gilets jaunes, à Rennes en janvier 2019, le Quimperlois Gwendal Leroy a perdu son œil gauche. Une enquête de l’IGPN, la police des polices, est en cours). Ce cri pouvait être un ressort fictionnel du roman. »

Allô place Beauvau ?

« Huit cent soixante et une fois j'ai contacté place Beauvau. On ne m’a pas répondu. J'ai envoyé le livre à Castaner avec une dédicace : « On s'appelle ? ». Il a mis en doute mon livre : « Les chiffres de M. Dufresne sont faux. » Le lendemain Europe 1 sort les chiffres : ce sont les pires chiffres d'audience. Au sondage « A-t-il été convaincant ? » c’est le pire score !
Le Monde a appelé place Beauvau. Et là le cabinet du ministre a expliqué la confusion du ministre mais aucun journaliste n'a repris la « confusion ». Il y a eu des discussions en off mais pas avec  Castaner. Tous les chapitres s'ouvrent sur des tags, des graffitis, des petites phrases écrites sur les gilets jaunes, du journal Plein le dos (https://pleinledos.org/). Il y a une libération formidable ! Il faut être honnête, on est plus attiré par une certaine rhétorique, tout n'est pas génial mais le peu qu'il y a sur la masse c'est fabuleux ! »

Ils ont la police on a la peau dure

« Et puis il y a trois mois où il n'y a quasiment rien. Violence policière puis silence médiatique. La violence est dans le déni. On a appris hier qu'il y avait pour deux millions de commande de LBD ! (https://www.nouvelobs.com/societe/20191128.OBS21695/l-etat-commande-de-nouveaux-lbd-a-deux-pme-francaises.html). A propos des policiers casseurs :
à l'époque je cherche dans l'histoire policière s’il y a des traces de policiers casseurs. Il n'y en a pas. Mais je tombe sur un argument massue : « ça se saurait, le prix à payer serait exorbitant ! ». Il y a eu des provocations c'était indéniable, pour pousser à la faute. La manifestation place d'Italie du 5 décembre c'est un cas d'école, un guet apens… les vigiles plus ou moins payés par la police place de l'Opéra, lors de la marche des sidérurgistes du 23 mars 1979… (https://www.humanite.fr/node/19158). Au Fouquet’s il y a des casseurs… Parlons de la BAC. Le principe même, c'est l'autonomie. Il faut faire du chiffre : tant de contrôle etc. C’est une vision du monde, sa mission est de lutter contre la petite  délinquance, donc tout est potentiellement violent. Ces gens, en manifestation, sont en roue libre, ce sont eux qui pratiquent le « saute-dessus », on leur demande d'aller au contact. On est dans une zone extrêmement grise, il faut se méfier des images. A propos de Benalla l'affaire court le roman. Pour moi c'est un troll, je lui ai demandé de l'interviewé, je lui proposé un rendez-vous place de la Contrescarpe, je lui ai donné donne mon numéro, il n’a pas répondu.
C’est une question de respect des Droits de l'homme. Benalla est un faux policier qui fait du maintien de l'ordre, c’est illégal et illégitime, c’est une garde prétorienne, on pourrait parler de milice et il est très peu inquiété. Et dans l'esprit de tout le monde c'est possible, il a l'air d'un baqueux, c'est normal.  C’est mon premier signalement : « Allô préfecture ? Qu'est-ce que vous faites là? » Je suis heurté par la méthode et peu de gens réagissent. Il se passe le même jour, à la première page du livre, l’incendie du McDonald de la Gare d’Austerlitz, BFM n'a retenu que ça ! »

La loi c'est moi, je fais ce que je veux


« Il y a plusieurs duos dans le livre dont l’opposition Dhomme/Préfet. Dhomme est le patron de la DOPC (Direction de l’ordre public et de la circulation) qui gère à Paris les manifestations, face à un préfet très inquiet pour sa place - dans la réalité il y a un préfet, Delpuech, qui a été démissionné puis nommé au Conseil d'Etat pour qu'il ne parle pas -  et son second qui est tiraillé entre une vision républicaine de la police et une réalité qui est tout autre. Ces personnages racontent l'envers du décor, ça explique les blessures… Il y a également Vicky et sa mère.
Il y des chercheurs qui pensent qu'il fait rester au ras du bitume. Pasqua, Castaner, ce sont ces gens là qui m’intéressent. Le tireur de LBD m'intéresse moins que la chaîne de commandement. Le noeud du problème c'est l'Etat. C'est pas là police qui m'intéresse c'est l'état policier. On n’est pas en 1933… mais en 1932. Le mot démocrature je ne l'avais pas entendu au Canada. On a un glissement depuis une dizaine d'années : l'état d'exception devient la règle. On voit la préfecture tweeter des saisies… Il y a des contrôles préventifs : une arme par destination ne devient telle que parce qu'elle a été utilisée.  En matière de terrorisme c'est prévu. C'est K. Dick,  Minority report. L'effet découragement fonctionne. »


A propos de Dardel, le nom du journaliste 

« J’étais en déplacement au Conseil de l'Europe, un type s'appelait comme ça, ça sonnait bien ! Parfois ça réussit la critique de la machine médiatique. Le journalisme est intéressant s'il incarne une forme de contrepouvoir. Là c'est terrible, c'est une affaire sociologique, un peu économique aussi. Ce n’est pas l'Ortf. Et il y a les réseaux sociaux c'est pas pour rien que j'ai été sur Tweeter. Pour revenir à Zoé, elle aussi a eu le courage de tweeter ça, d'avoir tenu bon face aux trolls qui ont été hyper pénibles. Je suis hyper touché. Chez Grasset ils n'ont jamais entendu ça, quelqu'un qui s'est fait contrôler. Il y a un lien avec Macron… en poussant un peu : « Je ne veux pas entendre ces mots-là, vous ne pouvez pas lire ça », il ya comme un parfum de 1932…
On est dans un continuum. Mon premier film c'était juste après les violences policières de 2005 en Seine-Saint-Denis, Adama Traoré mort sous coups des gendarmes. Ce dont on a parlé tout à l'heure, comment à un moment la BAC, les CRS, Sarkozy, la sécurisation des quartiers sensibles, ces laboratoires, ces camps d'entraînement… On étudie ça à travers des comités de travail. On voit que BFM parle de violences policières et ne met pas de guillemets. Ça fait une semaine, c'est une grande victoire. Ça avance un tout petit peu mais c'est déjà ça ! »