jeudi 21 mai 2020

Autour du Monde autour du monde

Anne-Marie Carlier’s bookshop in Metz, a city in France’s Grand Est region,
which has been hit hard in the COVID-19 pandemic. Image: Autour du Monde
 
De Metz et d'ailleurs, des nouvelles de la librairie Autour du Monde!

Du site de France Bleu...

https://www.francebleu.fr/emissions/cote-culture-comptez-sur-nous-avec-france-bleu-lorraine-nord/lorraine-nord/anne-marie-carlier-librairie-autour-du-monde-a-metz


"Le plaisir de feuilleter enfin retrouvé"
Par Hubert Desmarest

Diffusion du jeudi 14 mai 2020 / Durée : 4min 

Si certains commerces sont encore fermés, d'autres ont pu ré-ouvrir, c'est le cas des librairies et notamment celle d'Anne-Marie Carlier de la librairie "Autour du Monde" à Metz. Mardi, après 2 mois de fermeture, le plaisir de flâner (raisonnablement) et de retrouver les livres était palpable.
De la joie, de la bonne humeur, des sourires -masqués- des échanges, des conseils... telle était l'ambiance mardi matin lors de la réouverture de la librairie "Autour du Monde" à Metz. 
"Ça a été formidable, c'est comme si on ré-ouvrait, nous précise Anne-Marie Carlier, la gérante. On s'était préparé la veille à s'imaginer comment on allait pouvoir flâner à nouveau. On retrouve cet élan de solidarité et cette joie de se retrouver tous".
"beaucoup de nouveaux clients"
Les dernières semaines ont été longues, certains ont profité du confinement pour renouer avec la lecture, et depuis mardi, Anne-Marie rencontre "beaucoup de nouveaux clients" dans sa librairie.
Une nouvelle clientèle qu'elle explique en partie grâce à son journal de bord tenu sur facebook durant la durée du confinement. Un lien précieux qui lui a permis de maintenir les échanges avec ses lecteurs.
Quel livre pour le déconfinement ? Ecoutez la réponse d'Anne-Marie, où rendez-vous chez votre libraire.



... à la presse internationale ! ! ! 
 

 Et en version originale toujours, de la même journaliste, vers la fin de cette vidéo :




lundi 18 mai 2020

Maurice Joly / Henri Rollin

Où les mots se déplacent sans attestation dérogatoire




Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu, de Maurice Joly.
Ce livre fut écrit en 1864 par Maurice Joly, républicain opposant au Second Empire, à Bruxelles où il s’était exilé, et publié anonymement. Réédité en 1868, il valut à son auteur une condamnation à quinze mois de prison pour « excitation à la haine et au mépris du gouvernement ».
Après la chute de l’Empire, Joly participa à la Commune de Paris, puis, ensuite, s’essaya sans succès à une carrière politique à laquelle il renonça en 1873. Il mourut à Paris en 1878, dans des circonstances mystérieuses.
Le Dialogue imagine la rencontre de Machiavel et Montesquieu, qui débattent des moyens pour mettre en place la démocratie. Montesquieu représente le point de vue modéré, pré-républicain,  d’un système fondé sur les principes politiques de ceux qui, à la fin du 18ème siècle, se préparaient à prendre la relève de la monarchie absolue en la remplaçant par la république, conçue comme étant la fin des despotismes, et dont la base serait la volonté du peuple.
Machiavel exprime, lui, le point de vue du despotisme moderne, d’un genre nouveau. Il ne s’agit plus de réduire les ennemis du pouvoir par la force, car celle-ci peut susciter des mouvements violents. Il faut,  au contraire, modifier les institutions pour canaliser les oppositions. Par exemple, au lieu d’emprisonner des journalistes, on va créer des conditions nouvelles, en particulier économiques, en même temps que des journaux dévoués au gouvernement. Le résultat permettra de maintenir la domination sans qu’elle ait l’air d’être tyrannique, avec des élections libres mais que le découpage électoral rendra favorables au pouvoir.
« Avec des sociétés nouvelles, il faut employer des procédés nouveaux : il ne s’agit pas aujourd’hui, pour gouverner, de commettre des iniquités violentes, de décapiter ses ennemis, de dépouiller ses sujets de leurs biens, de prodiguer les supplices ; non, la mort, la spoliation et les tourments physiques ne peuvent jouer qu’un rôle assez secondaire dans la politique des Etats modernes. Il s’agit moins aujourd’hui de violenter les hommes que de les désarmer, de comprimer leurs passions politiques que de les effacer, de combattre leurs instincts que de les tromper, de proscrire leurs idées que de leur donner le change en se les appropriant ».
Le Dialogue se présente donc comme un traité cynique du pouvoir moderne, dont les principes sont énoncés par Machiavel. Celui-ci, d’ailleurs, se paie le luxe de citer Montesquieu lui-même, ce qui montre une collusion possible entre le pouvoir qu’il préconise et celui que Montesquieu incarne.
« Dans tous les temps, dit Machiavel, les peuples comme les hommes se sont payés de mots. Les apparences leur suffisent presque toujours ; ils n’en demandent pas plus. On peut donc établir des institutions factices qui répondent à un langage et à des idées également factices ; il faut avoir le talent de ravir aux partis cette phraséologie libérale, dont ils s’arment contre le gouvernement. Il faut en saturer les peuples jusqu’à la lassitude, jusqu’au dégoût. On parle souvent aujourd’hui de la puissance de l’opinion, je vous montrerai qu’on lui fait exprimer ce qu’on veut quand on connaît bien les ressorts cachés du pouvoir. Mais avant de songer à la diriger, il faut l’étourdir, la frapper d’incertitude par d’étonnantes contradictions, opérer sur elles d’incessantes diversions, l’éblouir par toutes sortes de mouvements divers, l’égarer insensiblement dans ses voies. Un des grands secrets du jour est de savoir s’emparer des préjugés et des passions populaires, de manière à introduire une confusion de principes qui rend toute entente impossible entre ceux qui parlent la même langue et ont les mêmes intérêts. »
Le livre de Maurice Joly aurait pu finir oublié à la Bibliothèque Nationale s’il n’avait pas connu un destin extraordinaire. Un journaliste anglais du Times se trouvait  à Istanbul au début des années 1920 quand il tomba par hasard sur un exemplaire du Dialogue  figurant dans un lot de livres vendus par un ancien officier de l’Okhrana, la police politique du régime tsariste. Le Times ayant publié l’année précédente une critique très élogieuse des Protocoles des Sages de Sion, le tristement célèbre ouvrage antisémite décrivant un prétendu complot mondial des Juifs pour s’emparer de la direction des affaires du monde, le journaliste connaissait bien les Protocoles. Il fut immédiatement frappé par la similitude entre le Dialogue et les Protocoles, et en arriva à la conclusion que ceux-ci n’étaient qu’un démarquage, fabriqué par l’Okhrana, de l’ouvrage de Maurice Joly. Cette fois, c’étaient les Juifs qui visaient à dominer le monde par la ruse et la tromperie.
Le Times publia une série d’articles pour dénoncer la supercherie. Ce qui n’empêcha pas que la diffusion des Protocoles se poursuive, notamment aux Etats-Unis où il fut applaudi par Henry Ford. Plus tard, Henri Rollin, un officier des services secrets français, publia un ouvrage intitulé L’Apocalypse de Notre Temps, où il relate en détail la fabrication des Protocoles et la falsification ; ce livre, publié en 1939, fut saisi et pilonné par les nazis dès 1940.
Aujourd’hui, la lecture du Dialogue montre une société qui ressemble à la nôtre de façon frappante, où le maintien de l’ordre établi est le fait d’un complot permanent de l’Etat, décrit par des auteurs divers depuis deux siècles. La mise en scène des oppositions, partout dans les sociétés développées, montre des gens qui paraissent être en désaccord sur tout, mais qui, une fois au pouvoir, pratiquent une politique qui ressemble à s’y méprendre à celle de leurs adversaires. Cela vaut pour les gauches, qui, un peu partout, ont fini par s’emparer légalement du pouvoir, pour, une fois installées, y faire tout le contraire de ce qu’elles promettaient. Mais cela vaut aussi pour les droites, qui, bien souvent, utilisent une rhétorique de gauche et, ensuite poursuivent leur politique. Et cela vaut encore pour d’autres, qui se présentent comme nouveaux et ne font que perpétuer la domination. La liberté devient alors illusoire : le choix n’est pas entre deux modèles de sociétés, mais entre deux variantes d’un unique système politique, le seul valable, le seul existant à l’exclusion de tous les autres. Comme disait Goethe : « Nul n’est plus esclave que celui qui se croit libre sans l’être. »



Bibliographie :
Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu, Maurice Joly, Editions Allia.
L’Apocalypse de notre temps, Henri Rollin, Editions Allia. Ce dernier faisant plus de 800 pages, il en a été tiré à part trois chapitres, sous le titre Une Mystification mondiale, même éditeur.

 Maurice Joly