mardi 30 mars 2021

Armand Robin / 19 janvier 1912- 30 mars 1961


Armand Robin

Poète, né en 1912 au fin fond de la Bretagne où l’on ne parlait pas français, il apprend cette langue à l’école. Remarqué par son instituteur, il fait des études, apprend le latin, le grec, l’allemand, l’anglais, puis le polonais, le russe, le hongrois, le finnois, l’arabe, le chinois…

En 1934, il fait un voyage en URSS, et comprend que le paradis prolétaire est une immense duperie. Il écrit un admirable texte relatant cette désillusion, « Une journée », paru dans la revue Esprit, en 1937. En voici un extrait :

« Nous ne savons pas qui dirige le monde : fascisme et communisme se reprochent mutuellement d’être le valet du capitalisme ; il y a bien des chances qu’ils le soient tous les deux ; il n’est même pas sûr qu’une vraie « dictature du prolétariat » ne puisse être le régime idéal pour le grand capital, la « prolétarisation » de toute la société faisant disparaître le petit capital et le capital moyen et abolissant ainsi l’indépendance d’une partie de la richesse terrestre. D’ailleurs le grand capital, du moment qu’il existe, doit par définition tendre à raréfier suffisamment la richesse du monde pour rester seul muni d’armes ; il est normal aussi qu’il accapare jusqu’aux leviers de commande  de  ses ennemis, qu’il arrive à se servir d’eux à leur insu, ou même qu’il  crée et entretienne lui-même tout ce qui s’opposera à lui ; la protestation contre le capitalisme serait ainsi organisée par le capitalisme lui-même dans les limites qui lui conviendraient. »

Dès lors, il sera un antistalinien convaincu, comme Breton, Péret, Malaquais ou le poète Maurice Blanchard.

Pendant la guerre, mettant à profit son don pour les langues, il rédige un bulletin d’écoutes radiophoniques utilisé aussi bien par les ministères, les administrations et les journaux que par la résistance. Dénoncé aux autorités d’occupation, il écrit à la Gestapo, en 1943, avant de cesser son activité :

« Preuves un peu trop lourdes de la dégénérescence humaine,

Il m’est parvenu que de singuliers citoyens français m’ont dénoncé à vous comme n’étant pas du tout au nombre de vos approbateurs.

Je ne puis, messieurs, que confirmer ces propos et ces tristes écrits. Il est très exact que je vous désapprouve d’une désapprobation pour laquelle il n’est point de nom dans aucune des langues  que je connaisse (ni même sans doute dans la langue hébraïque que vous me donnez envie d’étudier). Vous êtes des tueurs, messieurs ; et j’ajouterai même (c’est un point de vue auquel je tiens beaucoup) que vous êtes des tueurs ridicules. »

Pris pour fou, il n’est pas inquiété, mais se retrouve, à la Libération,  inscrit sur la liste noire du Comité National des Ecrivains, à la demande d’Aragon, pour « trotskisme ». Il réplique par une lettre : « Je vous écris cette lettre pour vous dire que j’exige de rester sur cette liste noire ; même si vous désirez en retirer tous les noms, j’exige d’y rester, seul, je prendrai toutes mesures pour obtenir que cet honneur, que vous m’avez inconsciemment fait, reste un acquis pour le reste de ma vie. »

Après la guerre, il collabore au Libertaire, où il croise Camus, Brassens, Ferré, Breton, Péret et d’autres. Il reprend ses activités de traducteur, en particulier des poètes russes : Blok, Essénine, Maïakovski, Pasternak, mais aussi Rilke, Mickiewicz, Endre Ady et Attila Joszef (deux poètes hongrois), Omar Khayyam, Goethe, Shakespeare, et d’autres moins connus.

Sa fin sera tragique et mystérieuse : arrêté dans des circonstances jamais élucidées, il meurt à l’infirmerie du Dépôt de la préfecture de Paris, le 30 mars 1961. Ses amis sauvent ce qui peut l’être de ses écrits.

Il est auteur de poésies (Ma vie sans moi, Poèmes indésirables) dans lesquelles il inclut ses traductions, les considérant comme son œuvre, d’un roman (Le Temps qu’il fait) qui mêle poésie, théâtre et récit en prose, et d’essais (La fausse parole, Le combat libertaire) ; de nombreux textes sont inédits ou introuvables.


 


Par Etienne

lundi 29 mars 2021

A venir le mercredi 7 avril à 19H30 : Rencontre autour d'un livre, "L'Homme sans qualités" de Robert Musil, animée par Maurice Rausch


 

Cathédrale littéraire du XXème siècle, L’Homme sans qualités de Robert Musil, tient une place à part dans nos imaginaires romanesques. Nous sommes nombreux  à avoir rêvé un jour d’en franchir le seuil, mais intimidés par l’ampleur d’une tâche que nous jugions insurmontable, nous n’avions de cesse d’en différer la lecture ;  quant aux autres, ceux qui l’avaient déjà approché, il s’agissait de revenir sur cette œuvre exigeante, et retrouver le bonheur d’une expérience intime qu’il fallait partager. Alors, mettons à profit ces temps incertains où nos qualités sont en suspens, pour entrer dans l’œuvre, y cheminer avec lenteur, émerveillés par cette écriture d’une richesse infinie. Accompagnons Ulrich, l’Homme sans qualités, suivons le dans son odyssée intellectuelle et sentimentale, sa quête prométhéenne du sens qui fait de lui et pour toujours ce héros du probable et de l’essai.

L’Homme sans qualités, livre inachevé de l’écrivain autrichien Robert Musil, évoque la décomposition d’un Monde (l’année 1913 de l’empire austro-hongrois), il aborde les questions philosophiques de la destinée de l’Homme moderne à l’aube du grand cataclysme. La première partie sera publiée en 1930, la seconde en 1933. Œuvre immense, d’une complexité lumineuse, elle sera interrompue par la montée du nazisme et la mort prématurée de son auteur en 1942, exilé en Suisse. Les publications posthumes intégreront les manuscrits et notes laissés par Musil ; L’Homme sans qualités devient ainsi cette œuvre à jamais ouverte dont chaque nouvelle édition apporte un éclairage particulier. Le livre offre une cartographie des grandes interrogations posées à l’homme moderne : comment expérimenter le vivre «juste » au sein de la profusion des systèmes philosophiques, des errements de la raison, de la confusion du sens et de l’incertitude des sentiments?  A travers une galerie de personnages inoubliables, Robert Musil tisse la grande tapisserie des idées et des contradictions, l’univers chaotique des visions du monde mue par les ressorts obscurs des pulsions et des désirs.

Il faut rendre ici hommage et témoigner notre reconnaissance éternelle à Philippe Jaccottet qui nous a donné la traduction probablement définitive de ce texte de la démesure, d’une profondeur sans pareille, dans une langue où précision et poésie se conjuguent de manière miraculeuse à chaque page.

 

Maurice RAUSCH de l’Association Lettrés-d’union présentera L’Homme sans qualités sur Meet, le mercredi 7 avril à partir de 19h30

https://meet.google.com/ize-wanu-mdg?authuser=0

samedi 27 mars 2021

Bertrand Tavernier : un artiste a disparu, pas son souffle


 

Crédits photo : Studio Harcourt/Droits réservés

Bertrand Tavernier est mort le 25 mars, à Sainte-Maxime.

Né le 25 avril 1941 à Lyon, Bertrand Tavernier était un peu l’empêcheur de filmer en rond du cinéma français.

En effet, il prend très tôt le contrepied des cinéastes de la Nouvelle vague en privilégiant le récit classique, en s’appuyant sur un cinéma populaire de qualité, inspiré du cinéma américain, en particulier du western et du polar, en utilisant des scénaristes comme Aurenche et Bost, vilipendés par Truffaut dans son célèbre article « Une certaine tendance du cinéma français ».

Le résultat est impressionnant. 

Dès son premier film, L’Horloger de Saint-Paul (1974) il choisit un scénario classique, inspiré d’un roman de Simenon. Ensuite viendront : Que la fête commence, d’après Alexandre Dumas (1975), Coup de torchon (1981), adapté de Jim Thompson, aggrave son cas en adaptant un roman de Pierre Bost, M. Ladmiral va bientôt mourir, sous le titre Un dimanche à la campagne  (1984) – il avait déjà eu recours aux services de Pierre Bost et Jean Aurenche pour trois films, L’Horloger de Saint-Paul, Que la fête commence  et Le juge et l’assassin (1976) –,  La vie et rien d’autre (1989), Capitaine Conan (1996) d’après Roger Vercel, Ca commence aujourd’hui (1999), Laissez-passer (2002),  film dans lequel il montre les cinéastes français au travail sous l’Occupation, Dans la brume électrique (2009), d’après James Lee Burke, avec Tommy Lee Jones, et les émouvantes silhouettes du  bluesman Buddy Guy et du chanteur et batteur  Levon Helm,  qui campe un général sudiste au temps de la Guerre de Sécession, La princesse de Montpensier (2010) d’après Madame de La Fayette que Nicolas Sarkozy avait grossièrement attaquée à deux reprises,  et sa série documentaire Voyage à travers le cinéma français (2016), qui montre l’étendue de sa culture cinéphilique.

Bertrand Tavernier avec Isabelle Huppert et Philippe Noiret, en 1981, sur le tournage de "Coup de Torchon", adaptation de 1275 âmes de Jim Thompson, numéro 1000 de la Série noire. (D.R. / Etienne George - Collection ChristopheL/AFP)

Car Tavernier était aussi un cinéphile passionné, auteur d’une monumentale histoire du cinéma américain, qui devrait connaître une troisième version en 2021 (après celles de 1970 et 1991), Cent ans de cinéma américain, où il montre tout son amour pour un cinéma populaire de qualité, loin des théories et des idéologies. Dans le même esprit, il venait de lancer une collection, « L’Ouest, le vrai », chez Actes Sud,  de romans ayant servi de base aux scénarios de westerns célèbres, pensant que ces romans méritaient d’être lus.

Egalement passionné de jazz, Tavernier a réalisé en 1986 Autour de minuit qui raconte la vie du pianiste Bud Powell, transposée (dans le film, c’est l’histoire d’un saxophoniste, joué par Dexter Gordon).


En outre, Tavernier était un homme engagé, ce que l’on voit tant dans ses films de fiction que dans ses documentaires, contre la guerre, les injustices, le colonialisme…

La fin inoubliable de Que la fête commence montre une fille du peuple qui tient dans ses bras son jeune frère écrasé par le carrosse du Régent, et dit en voyant un autre  carrosse brûler : « Regarde, petit frère, comme ça brûle bien ! Et on va en brûler d’autres, beaucoup d’autres ! », annonçant la Révolution.


 

Par Etienne

lundi 22 mars 2021

Les chansons de la Commune de Paris


La Commune a été le sujet de dizaines de chansons.

Deux  remarques préalables :

Je ne parle que de chansons écrites par des communards, avant, pendant et après les événements.

Et il y a deux catégories de chansons de la Commune.

1°) Des chansons qui utilisent une musique préexistante en détournant les paroles : ce sont les plus nombreuses. On y trouve « La défense de Paris », « Le drapeau rouge », « Le mouvement du 18 mars », « La république sociale », et même une « Marseillaise de la Commune », écrite par Mme Jules Faure (son prénom ne nous est pas parvenu !). Dans cette catégorie on trouve aussi des poésies écrites par des communards, tels qu’Emile Dereux (« Paris pour un bifteck »), Jules Jouy (« Le tombeau des fusillés », « Les inconnus ») Eugène Chatelain (« Vive la Commune ») et même Louise Michel (« La danse des bombes »). Il s’agit alors de textes auxquels ont été ajoutées les musiques, parfois des années plus tard. Lesdites musiques sont empruntées au folklore populaire et à des auteurs plus ou moins connus.

2°) Des poésies qui ont été mises en musique après, sans  avoir été destinées à l’être au départ : c’est le cas des deux poètes  les plus célèbres de la Commune, Jean-Baptiste Clément et Eugène Pottier, tous deux communards.

Deux des chansons  les plus célèbres n’ont pas été écrites pendant la Commune, mais avant : « La canaille », d’Alexis Bouvier et Joseph Darcier (1865), et « Le temps des cerises » (1867), de Jean Baptiste Clément, mise en musique par Antoine Renard en 1868. La seconde est de loin la plus connue des chansons de la Commune, avec son imagerie des « gouttes de sang » dont Abel Meeropol s’est peut-être souvenu, sur un mode plus tragique,  en écrivant  « Strange Fruit », immortalisée par Billie Holiday ; « Le temps des cerises » a connu de très nombreuses versions.

Une autre chanson a fait le tour du monde, mais dans des conditions bien différentes : « L’Internationale » d’Eugène Pottier, de loin le plus inspiré des auteurs de poésies mises en musique autour de la Commune. « L’Internationale » existe en deux versions, la première, datant de 1871, ayant été modifiée par Pottier avant sa mort. C’est cette seconde version qui, mise en musique par Pierre Degeyter, deviendra l’hymne des mouvements ouvriers révolutionnaires du monde entier. Mais elle connaîtra bien des vicissitudes, ne serait-ce qu’en devenant l’hymne officiel de l’URSS de Staline (jusqu’en 1944), mais aussi parce que, sous l’influence des dirigeants des partis « socialistes » ou « communistes » elle sera amputée de moitié. Le couplet qui suit :

 

Les rois nous soûlaient de fumées,

Paix entre nous, guerre aux tyrans !

Appliquons la grève aux armées,

Crosse en l’air et rompons les rangs !

S’ils s’obstinent, ces cannibales,

A faire de nous des héros,

Ils sauront bientôt que nos balles

Seront pour nos propres généraux.

 

fut systématiquement omis. Parbleu ! ils dirigeaient des armées ! Et deux autres passèrent à la trappe. Il est aujourd’hui difficile de trouver une version complète de la chanson (je vous signale celle de Marc Ogeret).

Pour le reste, Pottier a écrit : « Elle n’est pas morte » (« Tout ça n’empêche pas, Nicolas, / Qu’la Commune n’est pas morte »), « Le 31 octobre », « La terreur blanche », « En avant la classe ouvrière », « Le pressoir », « L’insurgé », « Jean Misère ».

Jean-Baptiste Clément, outre « Le temps des cerises », a écrit « Le capitaine au mur », et surtout « La semaine sanglante » :

Oui mais ça branle dans le manche

Les mauvais jours finiront

Et gare à la revanche

Quand tous les pauvres s’y mettront

Quand tous les pauvres s’y mettront.

 

Où trouver ces chansons ? Un album,  La Commune en Chantant, a été enregistré en 1971, réédité en CD en 1988. Parmi les interprètes, il y a Mouloudji, Francesca Solleville, Armand Mestral et diverses chorales. On y  trouve 9 chansons de Pottier, 2 de Clément, 2 de Jules Jouy. Et « L’Internationale » dans sa version expurgée. Cet album peut être écouté sur le site vrevolution.free.fr.

 

Marc Ogeret a, pour sa part, enregistré un album,  Autour de la Commune, sur le label Vogue (enregistré en 1968, sorti en 1972) : dix chansons, dont « Le temps des cerises », « La canaille », « La semaine sanglante », « Elle n’est pas morte », et « L’Internationale » en version intégrale. Il a été réédité en CD en 1994.

Ces deux albums sont épuisés.


 

Le site revoltes.net présenterait des chansons de la Commune mais je n’ai pas réussi à m’y connecter.

Voir aussi sur Youtube, bien sûr.

Il y a un mini album de versions électroniques, Communardes Communards … sur dubamix.net

Je signale pour ma part Noir… et rouge aussi un peu, du groupe nancéien Les Amis d’ta Femme, qui donne des versions de « La canaille », « La semaine sanglante », « Elle n’est pas morte » et « Le sang des martyrs », dans des styles joyeusement parodiques de pop, rock, et jazz. Le CD vaut d’être recherché, car, outre ces chansons, il comprend des chansons anarchistes, antimilitaristes (« La chanson de Craonne »), et d’autres, plus récentes.


 


Enfin, il faut lire Les Poètes de la Commune, de Maurice Choury (1970), préface de Jean-Pierre Chabrol, aux Editions Seghers, où l’on trouve Pottier, Clément, Jules Jouy, Emile Dereux, Louise Michel, en compagnie de Hugo, Vallès, Verlaine, Vermersch,  bien sûr Rimbaud, et une dizaine d’autres. Encore un titre à rechercher...

 


Par Etienne