vendredi 28 février 2020

Rencontre à venir le samedi 7 mars à 19H : Soirée Polar




Vous aimez les polars ? Nous aussi ! Rendez-vous à la Librairie le samedi 7 mars à 19H.

Venez parler de votre auteur favori, ou d’un roman que vous avez particulièrement aimé, ou de deux ou de trois, ou alors d’un auteur que vous détestez, le tout avec arguments et petits passages de lecture en guise d’illustrations

 En toute liberté et en toute convivialité.



A bientôt!





jeudi 27 février 2020

Rencontre à venir le mercredi 4 mars à 18H30 : Camille de Toledo





"Un temps précieux, Camille de Toledo revient ! avec des livres à venir - des livres avenir aussi ! … vous le connaissez ou du moins vous avez déjà entendu parler de lui ! Il est déjà venu deux fois à la librairie, à propos de son roman : "Le livre de la faim et de la soif »
puis de son roman graphique « Herzl : Une histoire européenne »
Ce 4 mars ce seront les projets qui seront sur scène !
Une rencontre autour de livres en devenir, de livres en chantier, au moins deux !
Une soirée pas comme les autres, une soirée en amitié, une soirée pendant laquelle on arrêtera le temps, le temps de traverser des frontières, des zones d’ombre et de lumière, sur le fil des mots, sur le fil du dire et penser, sur le fil de la mémoire,
avec des images et des foisonnements !"

Camille de Toledo interviendra le lendemain, 5 mars, dans le cadre d’une journée Obslit (https://obslit.huma-num.fr)






lundi 10 février 2020

Rencontre du mardi 11 février 2020 : Ada Akerman

Ada AKERMAN est commissaire de l’exposition "Sergueï Eisenstein : oeil extatique" avec Philippe-Alain Michaud. Elle a dirigé seule le catalogue édité par le Centre Pompidou-Metz.

Chargée de recherche au CNRS (THALIM), c'est une spécialiste du travail de Sergueï Eisenstein,  qu’elle cherche notamment à envisager à travers le prisme de l’histoire de l’art. Elle s’intéresse aux relations  entre cinéma et arts plastiques, à l’intermédialité ainsi qu’aux transferts culturels entre la Russie, l’Europe et les États-Unis. Elle a publié Eisenstein et Daumier, des affinités électives (Armand Colin, 2013). Elle a également été chargée de mission pour l’exposition « 1917 », qui s’est tenue au Centre Pompidou–Metz en 2012, et commissaire de l’exposition «Golem !  Avatars d’une légende d’argile» au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, à Paris, en 2017.

La rencontre est brillamment animée par un autre passionné de cinéma, Loic Millot.

Ada Akerman : 
« Commissaire d'exposition est un terme à remplacer par homme-orchestre ou femme –orchestre. L’exposition est née dans la tête de Dominique Païni, qui a été notamment commissaire de l'exposition « Hitchcock et l'art : coïncidences fatales » (Centre Pompidou- Paris, 2001). On s'est rencontré - j'étais en thèse -  lors d'une conférence sur Eisenstein il y a déjà 10 ans... ça met du temps ! Eisenstein est un cinéaste prolifique en termes d'archives. Je me suis rendu à Moscou,  aux Archives d’Etat de la littérature et de l’art. Il y a avait plus de dix-mille dossiers ! Cela pose des problèmes, de quantité et de qualité. L’index n'est pas numérisé, de plus il avait une graphie franchement illisible. Ça a été un gros travail, du fait de cette difficulté double. Un autre des paramètres, c’est qu’il était polyglotte. Il mélangeait les langues, c’est du montage de langage, il y a une logique de montage dans sa façon d'associer des références, un éclectisme de citations, de références. Il disait : « J’ai une logique de guenon ! ». Il dérive, par esprit d'association. Comment quitter cette logique centrifuge pour en faire un parcours lisible ?
Il a une vue très mouvementée du régime socialiste. Il se trouve dans un rapport trouble : il a été accusé d'être un grand opportuniste et un fidèle laquais de Staline. Il y a des facettes moins connues de l’histoire des arts, il a eu plusieurs activités créatrices… Aujourd'hui, en dehors du cadre de la cinéphile, je ne suis pas sûre qu'on le connaisse beaucoup.
Vous avez sans doute été frappé par le nombre d'artistes très variés dans un même espace d'exposition. Il y a un tout un aspect de négociations, par rapport à une exposition idéale, par exemple des prêts que l’on n’a pas eus. Il y a un fossé entre ce que je voulais et les négociations avec les musées russes. Il a fallu deux à trois ans pour monter l'exposition. Il faut être très en amont, c’est un montage à partir de ce qu'on obtient.
Quand on écrit un livre, on en fait ce qu'on veut. Dans le cadre d'un parcours il y a des contraintes techniques, le travail avec le scénographe
Jean-Julien Simonnot, penser à la sécurité des flux de parcours... Il faut faire attention à l'espace, on devient metteur en scène.
A quelques heures de l'ouverture, à l’accrochage, on se rend compte que certaines choses ne marchent pas du tout ou au contraire il peut y avoir de la magie, des surprises. »

Le montage des attractions

« Eisenstein a été un grand metteur en scène de théâtre, élève de Meyerhold [Karl Kasimir Theodor Meierhold dit Vsevolod Emilievitch Meyerhold, dramaturge et metteur en scène russe]. Il avait le potentiel de dépasser le maître. Il a gardé une trace de l'enseignement de Meyerhold jusqu'à « Ivan le terrible », où l’on retrouve le kabuki, une technique très prisée de Meyerhold. Il faut souligner son inventivité, l’audace de ses premiers travaux de création. C’est un héritage qui reste actuel. Pour Meyerhold le théâtre ne doit pas être un art coupé des autres arts.  Il ne cesse de se nourrir de peinture, de littérature, du cirque, de la commedia del’arte. Dans ses spectacles le comédien est polyvalent et l’accent est mis sur la musique, les écrans, c’est un geste posé déjà dès les années 20. Eisenstein fait son premier film dans le cadre du théâtre pour la pièce « Le sage », en 1923 [un petit film y est intégré : « Le Journal de Gloumov »]. Avec son ami Serguei Tretiakov, ils s'amusent à dynamiter le théâtre classique. Alors qu’on prône un retour à Ostrovski [préconisé parle le commissaire à l’Instruction publique Anatoli Lounatcharski],  ils le prennent au mot et le transforment en « montage des attractions », avec des numéros d'acrobaties, des gags, même dangereux, comme un funambule à quinze mètres du sol sans protection…
Avec les attractions on doit soumettre le spectateur à une série de chocs, il s’agit de modeler et transformer les consciences des spectateurs. Il a écrit ce texte, « Le montage des attractions », en 1924, il est très sûr de lui. On parle de montage pour cinéma mais le terme est déjà forgé pour le théâtre. »

Usine à gaz
 
« Le premier court métrage d’Eisenstein est donc « Le journal de Gloumov »,  qui aurait dû être réalisé sous la tutelle de Dziga Vertov, qui était loin du clownesque.  Il ne fallait  plus de séparation entre la scène et le spectateur. Dans la mise en scène de la nouvelle « Le Mexicain » de Jack London, il a installé un ring de boxe dans le théâtre, sur l’avant-scène. On ne connaissait pas l'issue du match! Il organise la mise en scène de « Masques à gaz » de Trétiakov dans une usine, ce qui est étonnant à l'époque, ça répond à l'impératif constructiviste du brouillage des repères. Un article à propos d’une fuite de gaz paru dans la Pravda a inspiré Trétiakov, mais entre le cadre et les éléments littéraires de la pièce, c'est l'usine à gaz! Un fiasco total C'est parce que c'est un échec qu'il décide de passer derrière la caméra. Il se sent toujours très vite à l'étroit, c'est un grand maître de l'inachèvement. Il a réalisé huit films mais il avait plus de deux cents projets, des milliers de choses qui vont dans tous les sens, comme une adaptation de Joyce…
Il y a des milliers de pages théoriques, alors qu’un seul livre a été publié de son vivant, et c’est sa femme qui l'a aidé. »



Le film comme instrument de propagande
 

« Eisenstein se veut toujours au service de la transformation des consciences pour   fédérer les masses autour de causes communes. C’est la scène du massacre final de « La Grève », une esthétique de la cruauté, des enfants suspendus dans le vide : on maltraite les enfants et les femmes, on montre les souffrances du peuple et les grands méchants patrons grotesques et difformes.
« Potemkine » est le point culminant de la fraternisation, faire UN pour agir comment un TOUS, vivre à travers le UN, créer une propagation de la solidarité. Cette fraternité doit sortir de l'écran pour que les spectateurs puissent la diffuser. Potemkine a été absent des écrans jusque que dans les années 50. Pour les films programmés dans l'auditorium, nous avons dû être très attentifs à la version proposée, en fonction de la bande-son, de l’accompagnement musical.
Edmund Meisel a réalisé la bande-son pour la première à Berlin, une musique agressive. Ce genre de  témoignage de la dimension subversive du cinéma en Russie, on le connaît plus pour « Alexandre Nevski », plutôt que pour « Potemkine », film éminemment patriotique qui exalte la figure du chef. Dans « La Grève » comme dans « Potemkine », on n’a pas la dimension du héros qu'on idolâtre, le héros est multiple.

Il y a une malédiction du « Potemkine » qui est un chef-d'œuvre. Il suscite une grande attente du pouvoir soviétique et aussi d'Hollywood. En 1931 David O. Selznick projette de refaire un « Potemkine », même Goebbels a été impressionné par le film!
Octobre
"En 1927 c’est la célébration des dix ans de la Révolution. « Octobre » est un film expérimental, par exemple un plan s'attarde sur la sculpture de Rodin « L’Eternel printemps », c’est une digression. Quel que soit le contexte il ne sacrifie pas son désir d'expérimenter. On lui donne des moyens incroyables, lui est obsédé par l'idée de faire du cinéma intellectuel. Il filme des divinités au musée d'anthropologie pour démontrer que le concept de dieu n'avait aucune valeur!"

"On lui reproche de ne pas faire un cinéma pour des millions de personnes. Il part ensuite en Europe et au Mexique, on le soupçonne de ne pas vouloir revenir, on le menace, il ne réussit à ne faire aucun film! Il continue d’améliorer les techniques de cinéma sonore, mais il ne réalise aucun film pour promouvoir la Russie. 1929 c’est la mainmise de Staline sur les institutions culturelles, un verrouillage idéologique. Je ne pense pas  que ce soit une déception, il a évolué dans ses conceptions théoriques, ce qu’on retrouvera dans ses « Notes pour une histoire générale du cinéma. Il va voir du cinéma dans les vitraux, dans les masques… Il adopte une perspective anthropologique. Il est désolé de na pas pouvoir capturer le temps, ça vient contredire l'Eisenstein théorique, il y a une dimension nostalgique, funéraire. »
Inachèvement 
« Cet inachèvement, ce n’est pas de l'autocensure, il s'autorise des prises de positions dans ses archives, il veut tout intégrer, il veut tout englober, embrasser. C’est une volonté totalisante. Il a une réticence à mettre un point final, ça le plongeait dans ses états de dépression intense. Il a des moments de doutes terrifiants, il pense souffrir de maladie, il se tourne vers des exemples de l'histoire : de Vinci, Michel-Ange sont des frères d'inachèvement. »
Traduction
« En France on traduisait Eisenstein dans les années 1970, un retard a été pris… Avec l'exposition j'avais l'espoir que ça redonne envie de le traduire. Pour la traduction, si on compare le texte français avec le texte russe, il faudrait le reprendre et le réactualiser, repartir des éditions russes remises à jour. Les « Mémoires » (Julliard, 1989) d'Eisenstein sont épuisés. Il a eu en France des amitiés avec Cocteau, Colette, Bataille…  Une impulsion a été donnée par l'exposition, le catalogue comprend une série d'inédits mais pas que sur le cinéma, par exemple des textes sur la manière de pratiquer l'édition, le « livre sphérique », la manière dont il faut écrire les scénarios, interpréter les pratiques artistiques comme des pratiques magiques… J'y travaille ! »
 

Rapport avec les institutions

« Eisenstein a tendance à ne pas parler de ses contemporain, c’est une manière de se valoriser. On parle de Vertov dans l'exposition. Vertov l'a accusé de l'avoir plagié. Eisenstein lui répond qu'il ne fait qu'une forme d' « impressionnisme primitif » ! Après « La Grève » il est en rupture avec le Théâtre du Proletkult, il est totalement en disgrâce, Boris Choumiatski [directeur de la cinématographie) est très critique à son égard, mais quelqu’un comme Molotov va le protéger.
Suite à « Alexandre Nevski », il va occuper des positions de plus en plus favorables. En 1935 il fait partie de jury du Premier Festival cinématographique international de Moscou. C’est un rôle de décisionnaire. C'est plus complexe que l’idée d’Eisenstein tourmenté par Staline. Par exemple il n'a jamais caché sa position anticlérical mais il opère par détournement, par rapport à l'icône. Il s’inspire de l’esthétique de l’icône et du « loubok » [art de la gravure populaire russe]. Et d’un côté « Alexandre Nevski » constitue une menace pour Hitler, c’est une glorification de la culture, mais c’est un film qui sert également à exalter la figure du tsar et, au-delà, Staline évidemment. » 


Chronologie inversée 

« La  scénographie est de Jean-Julien Simonot. Il a utilisé des portiques, c’est un travail en perpétuelle élaboration, on est toujours dans une logique d'un sens ouvert, pour mettre le film au centre et ensuite déployer des arborescences. Avec ce geste là, on fait de l'histoire de l'art. Les oeuvres dites statiques se lisent autrement. Piranese, par exemple : on y voit ce qui y est extatique, c’est dynamique déjà avant l’heure. Exposer Eisenstein ça permet de proposer une histoire de l'art, et une réflexion sur le cinéma. Plus globalement on s'est aperçu que l'expo toute entière fonctionne comme une gigantesque machine de montage. Eisenstein lui-même a des réflexions et des questions curatoriales, ayant participé à des expositions de cinéastes. C’est fascinant en tant que commissaire, on vit une expérience ! »



Influences

« Il a écrit un « Walt Disney » chez Circé. Il rencontré Disney lors de son voyage aux Etats-Unis. Il voit dans le travail de Disney un désir d'évasion face au capitalisme. Eisenstein élabore de concept de « plasmaticité » : la capacité d'une forme à se transformer sans cesse. Il va donner à ce phénomène une explication anthropologique. Cela nous ramènerait au moment où notre être était dans état prénatal, où on n'était pas une forme définie, fermée. Il a un goût pour la physiognomonie alors que c'est un outil très répressif, qui a servi de base au quadrillage policier.
Le montage alterné, on le trouve aussi chez Griffith, Fritz Lang, von Stroheim. Il exprime sa dette envers Griffith et Dickens [« Dickens et Griffith – genèse du gros plan » (Zootrope, 2007-épuisé). Il est courant de tout ce qui se fait. Il y a une correspondance avec von Stroheim. Il a rencontré Mary Pickford et Douglas Fairbanks, un projet de collaboration a même été esquissé. Il va travailler au montage russe du « Mabuse » [« Docteur Mabuse le joueur », 1922)] de Fritz Lang. Il assiste au tournage de « Metropolis », c'est un tel magma de matière ! Il est très ami avec Chaplin, c’est quelqu'un qui Inclut, il parle des autres cinéastes dans « Notes pour une histoire générale du cinéma ».


Postérité

"Il reste un maître de la forme courte, des plans courts où le spectateur n'a pas le temps de rester. Il a influencé le clip télévisuel. Alexander Kluge va reprendre tout ça, Kenneth Anger également. Sans oublier les dangers de l'image subliminale… Godard dans « Le livre d'images », c’est un montage très hétérogène, particulièrement les images pauvres en qualité, celles du téléphone portable. On voit la force du montage… Chez des architectes aussi, comme Bernard Tschumi. Et puis il y a ses Images effectives mais il y a aussi tous ses projets inachevés…  On peut terminer par une citation de Guy Debord : « Ce que Eisenstein n'a pas réussi, moi je vais y arriver… »"

  
Stupeflip - Stupeflip Vite !!!