Alain Blottière a écrit des essais, des récits de voyages, des romans et a
obtenu les Prix Décembre, Jean Giono et Mottart de l’Académie Française, en 2016,
pour Comment baptiste est mort.
Il est venu présenter son dernier ouvrage Azur noir.
"Dans
Azur noir nous marchons dans les pas de Léo qui vient d'emménager à Montmartre,
là où, cent-cinquante ans avant, a vécu Verlaine. Il vit avec sa mère. Nous
sommes en été, sa mère n'est pas là. Cet âge m'intéresse particulièrement,
pour la possibilité que cela offre dans une fiction, pour toutes les
possibilités que cela offre : on est ouvert à tout, tout est possible, on
a une acuité particulière, on découvre tout. Il y a d'autres raisons, sans
doute liées à ma propre adolescence... Les poèmes que Léo écrit sont ceux que,
moi, j'avais écrits à cet âge là. Il y a toujours un rapport avec ma
propre adolescence, j’étais un ado pas sage du tout. Je me dis que mon
adolescence m'a construit. Les histoires d'adultes, dans les romans
contemporains, me tombent des mains. Je n'arrive pas à m'y intéresser... je n’ai
pas tellement le choix en fait!
Léo est le héros qui perd la vue et se prend de passion pour Rimbaud. J'ai voulu un peu commémorer mon premier roman, d’il y a quarante ans. La littérature est tellement inventive, nouvelle, folle, ces mondes qu'il invente dans les Illuminations, tout ça m'a soufflé ! Il m'est arrivé des choses où Rimbaud apparut inopinément. J'avais vingt deux ans, en 1976. Mon meilleur ami de l'époque me dit : « Allons sur les pas de Rimbaud ! ». Il y avait des bourses pour les jeunes, nous sommes allés en Afrique, au Yémen, à Djibouti… En est sorti un article dans une revue et le décor de mon premier roman : un port sur la Mer Rouge. Rimbaud y avait vécu un an, le décor était intact, c’est d’ailleurs le seul décor intact qu'on pouvait trouver, comme au dix-neuvième siècle. On retrouve dans Azur noir la même recherche de lieu intact. En 1976, j'écris donc ce premier roman, Saad (Gallimard, 1980). Avant de publier, je travaillais un peu dans l'édition. Guy Schoeller me demande une préface pour les oeuvres de Rimbaud dans la collection Bouquins. En décembre 1978, je suis parti à Bali, j'y ai écrit ces notes et cette préface. Je repars en Égypte en 1979, un pays que je découvre, maintenant je m'y suis installé. J'attendais la réponse de l'éditeur pour mon premier roman, une attente un peu superstitieuse. Je me promenais à Karnak, et sur une colonne, dans un temple oraculaire, là, un graffiti : Rimbaud ! Donc je me dis : « C'est bon ! ». Je retourne à Paris… et c'était bon !
Je reviens sur les graffitis, il y en a des collections, dont celle de Cocteau. On en avait découvert plusieurs mais pas le mien, c'était une vraie découverte !
Rimbaud est revenu après, avec Comment Baptiste est mort. J'avais peur de retomber dans un truc assez plat puis une idée est tombée du ciel, Rimbaud est tombé du ciel... encore Rimbaud ! J'en ai parlé à mon éditeur ! Je l'ai fait quand même. J'étais au cinéma un jour - je raconte ma vie ! - avec mon ami Gilles Sebhan. Au ciné on voit un film ensemble. J’ai eu idée de la cécité de mon personnage. Je demande à Gilles :
Léo est le héros qui perd la vue et se prend de passion pour Rimbaud. J'ai voulu un peu commémorer mon premier roman, d’il y a quarante ans. La littérature est tellement inventive, nouvelle, folle, ces mondes qu'il invente dans les Illuminations, tout ça m'a soufflé ! Il m'est arrivé des choses où Rimbaud apparut inopinément. J'avais vingt deux ans, en 1976. Mon meilleur ami de l'époque me dit : « Allons sur les pas de Rimbaud ! ». Il y avait des bourses pour les jeunes, nous sommes allés en Afrique, au Yémen, à Djibouti… En est sorti un article dans une revue et le décor de mon premier roman : un port sur la Mer Rouge. Rimbaud y avait vécu un an, le décor était intact, c’est d’ailleurs le seul décor intact qu'on pouvait trouver, comme au dix-neuvième siècle. On retrouve dans Azur noir la même recherche de lieu intact. En 1976, j'écris donc ce premier roman, Saad (Gallimard, 1980). Avant de publier, je travaillais un peu dans l'édition. Guy Schoeller me demande une préface pour les oeuvres de Rimbaud dans la collection Bouquins. En décembre 1978, je suis parti à Bali, j'y ai écrit ces notes et cette préface. Je repars en Égypte en 1979, un pays que je découvre, maintenant je m'y suis installé. J'attendais la réponse de l'éditeur pour mon premier roman, une attente un peu superstitieuse. Je me promenais à Karnak, et sur une colonne, dans un temple oraculaire, là, un graffiti : Rimbaud ! Donc je me dis : « C'est bon ! ». Je retourne à Paris… et c'était bon !
Je reviens sur les graffitis, il y en a des collections, dont celle de Cocteau. On en avait découvert plusieurs mais pas le mien, c'était une vraie découverte !
Rimbaud est revenu après, avec Comment Baptiste est mort. J'avais peur de retomber dans un truc assez plat puis une idée est tombée du ciel, Rimbaud est tombé du ciel... encore Rimbaud ! J'en ai parlé à mon éditeur ! Je l'ai fait quand même. J'étais au cinéma un jour - je raconte ma vie ! - avec mon ami Gilles Sebhan. Au ciné on voit un film ensemble. J’ai eu idée de la cécité de mon personnage. Je demande à Gilles :
« Etait-il
question de cécité dans le film?
-Non ! »
Alors, Rimbaud voyant ? Ce n’est pas une
construction intellectuelle. Cette cécité m'est apparue comme une excellente
idée. Tirésias est devin parce qu’aveugle. De plus mon personnage devenait
aveugle par cécité hystérique : pas de cause organique mais un choc
psychologique. Hitler a été aveugle en 1918, pendant quelques heures, lors de
la défaite de l’Allemagne. C’est là qu’il a eu cette vision du sauveur de
l'Allemagne…Léo arrive en septembre et repart en mai. Il reconstitue le passage de Rimbaud et la première rencontre avec Verlaine. Il voit tout ça, fait des recherches sur internet, des cartes postales, il voit ce qui s'est passé. Il s'aperçoit qu'il vit dans cette maison, 14 rue Nicolet, le petit hôtel particulier des parents de Verlaine. Il y avait une plaque qui a été sciée - probablement par les habitants de l'immeuble qui ne supportaient plus d’être dérangés. Non seulement il habite là, mais en plus il dort dans la chambre où avait dormi Rimbaud... voilà les fantômes !"
"Pour ce qui est des
personnages qui apparaissent, il y a d'abord une initiation au sexe avec sa
voisine, qui a l'âge d’être sa mère. Puis un vieillard presque centenaire, qui
lui apprend l'histoire de Tirésias. Il est en train de mourir… et le professeur
de lettres amoureux de son élève, j'en fait une histoire salace, il devient un
personnage comme dans Théorème [Teorema, film de Pier Paolo Pasolini, 1968). J'ai
fait des recherches : les aveugles aiment bien être vu par des gens qu'ils
ne voient pas, certains aveugles. Une thèse a été écrite là-dessus,
l'exhibitionnisme des aveugles. Rimbaud aussi était exhibitionniste, on le voit
dans le film avec Di Caprio [Rimbaud-Verlaine (Total Eclipse), film réalisé par
Agnieszka Holland en 1995], à la fenêtre de sa mansarde, se déshabiller. Il
envoie balader ses vêtements… Léo est voyant, il ne voit d’ailleurs que
ce qu'il a envie de voir. Rimbaud avait un côté très provocateur, il aimait
choquer le bourgeois. Léo, lui, subit. Il y est un peu contraint. Il se tatoue « rime »
sous l'œil, comme XXXTentacion, le rappeur de Floride. Je l'ai découvert, il a des côtés
épouvantables, avant sa mort, il est passé par les tribunaux, il a battu sa
femme, sa mère… Ses textes sont incroyables, ils ont un côté très très rimbaldien.
Sa musique, ce n’est pas du rap vraiment, il y a un morceau : Before I close my
eyes*… mon jeune héros est fan de ce rappeur, il a tatoué sous l'œil « numb », qui veut dire morne,
assoupi."
"J'ai un côté historien,
j'adore ça, j’ai toujours été fasciné par les traces. Pour revenir à l'Égypte,
je suis plus fasciné par les graffitis des voyageurs du dix-neuvième siècle que
par les statues de l’antiquité ! C’est une antiquité toute récente, que
l'on peut ressentir dans le désert. On est devant des paysages inchangés, qui
ont été vus par des voyageurs avant vous, qui ont laissé une trace. Pour moi il
y a vraiment une émotion particulière. Le tatouage, c'est plus dans le domaine
du rituel sacrificiel. Ce qu'on n’a pas tellement dit, c’est la canicule à
Paris que j'imagine dans quinze, vingt ans. Le goudron fond, lui est persuadé
que c'est la fin du monde ! C’est pas les 43 degrés qu'on a eu… Comme il
en est certain, c'est un petit rituel qu'il se fait lui-même, pour « s'auto-tatouer »."
"Le roman,
est-ce que c'est un travail ? C'est pensé mais en même temps ça vient comme ça.
Il y a des transitions, elles arrivent un peu comme ça, c'est simple. Léo est
en train de contempler un très beau portrait de Rimbaud par Forain [Jean-Louis
Forain (1852-1931)]. On voit Rimbaud qui a deux orbites noirs dans ce dessin, à
la place des yeux. Léo l'observe. Ce dessin est contextualisé, c’est la chambre
où les deux artistes ont vécu ensemble. Dans mon roman Rêveurs (Gallimard, 2012) il y a une
construction : dans la même phrase on passe d'un personnage à l'autre, ça s'est
fait assez facilement. Depuis, dans les quatre romans, il y a une construction
entre des scènes, des rapports entre présent et passé. Cela me stimule dans
l'écriture, d'avoir une construction un peu binaire, ça coule de source, ce
n'est pas compliqué. Là, j'ai un peu soigné les transitions, pour qu'on ne soit
pas perdu, ça stimule aussi l'imagination de faire ça. Je ne suis pas souvent à
court d'imagination !"
"Paris est un autre personnage important. C’est le Paris du mois d'août, c’est la fin
de son monde, de l’adolescence, c’est intimement lié à la ville. La ville fait le lien entre Léo et Rimbaud. J'ai voulu bien
aussi reconstituer Paris, pas seulement le Paris caniculaire. J'habite tout
près. Je suis toujours là, à Paris, au mois d'août. C'était tout naturel, le
soleil rue des Abbesses... J'ai fait un effort pour la reconstitution du
Paris de 1871 Paris en chantier la butte en construction Paris d’Haussmann,
le Paris plein de promesses, la modernité qui s’annonce, on a l'avenir devant
soi.
Le Paris froid aussi, l’hiver. Cette antiquité récente l'attire irrésistiblement. Cela m'a beaucoup plu de le reconstituer, ce Paris où Saint-Germain-des-Prés pouvait être un lieu de perdition ou de misère. Nous nous construisons à partir de traces. Paris est riche d'une épaisseur historique, nous sommes en quelque sorte aveugles de notre présent, ce sont ceux qui viendront après qui verront ce que nous sommes par les traces que nous avons laissées.
Si Tirésias voit l'avenir, c'est parce que les anciens pensent que le présent a ses racines dans le passé. Pour Léo il n'y a pas d'avenir, ce sont les derniers jours du monde. Il a quand même quelques visions d'après la fin du monde, ça va durer encore un peu avant la déflagration finale. Il faut faire vite, c'est bientôt fini. Il va bientôt mourir, comme tout le monde. Le vieillard, Prinz, lui donne une leçon de mort, pas une leçon de vie : il fascine aussi Léo. Si Rimbaud et Verlaine avaient vécu très vieux, ils auraient pu rencontrer Prinz… Ce personnage, c’est un hommage à un ami, Pierre-Yves Leprince, voisin et ami à Montmartre… »
Le Paris froid aussi, l’hiver. Cette antiquité récente l'attire irrésistiblement. Cela m'a beaucoup plu de le reconstituer, ce Paris où Saint-Germain-des-Prés pouvait être un lieu de perdition ou de misère. Nous nous construisons à partir de traces. Paris est riche d'une épaisseur historique, nous sommes en quelque sorte aveugles de notre présent, ce sont ceux qui viendront après qui verront ce que nous sommes par les traces que nous avons laissées.
Si Tirésias voit l'avenir, c'est parce que les anciens pensent que le présent a ses racines dans le passé. Pour Léo il n'y a pas d'avenir, ce sont les derniers jours du monde. Il a quand même quelques visions d'après la fin du monde, ça va durer encore un peu avant la déflagration finale. Il faut faire vite, c'est bientôt fini. Il va bientôt mourir, comme tout le monde. Le vieillard, Prinz, lui donne une leçon de mort, pas une leçon de vie : il fascine aussi Léo. Si Rimbaud et Verlaine avaient vécu très vieux, ils auraient pu rencontrer Prinz… Ce personnage, c’est un hommage à un ami, Pierre-Yves Leprince, voisin et ami à Montmartre… »
*XXXTentacion : Before I close my eyes