jeudi 6 février 2020

Rencontre du 4 février 2020 : Rosalou et Catherine Gucher


Une rencontre étonnante - et passionnante! - à l’occasion du 6e Colloque international organisé par REIACTIS* sur le thème : "Société inclusive et avancée en âge", autour de deux ouvrages, deux fictions : « Et qu’importe la Révolution » de Catherine Gucher (publié aux éditions Le mot et le reste) et « Un été en EHPAD, situation critique » de Rosalou (publié par H diffusion).


Rencontre animée avec un enthousiasme redoublé par Anne-Marie : « C’est une super découverte ! Deux livres que je n'aurais pas lus, deux livres complètement différents ! ». Deux fictions pour aborder un thème escamoté - représentatif du déni ou des représentations que l’on se fait de cette étape de la vie.

Quelle genèse pour ces livres, puisqu’il s’agit de littérature et non pas d’essais ?



Catherine Gucher : 
« Le titre ne l'aise pas penser que ça parle des vieux, du processus de vieillissement, ce qui advient du désir, comment on se positionne, ce qu’on a transmis… J’ai été assistante sociale auprès des personnes âgées puis chercheure. Dans les remerciements, à la fin du livre, je remercie des Espagnols rapatriés d'Algérie, des personnes mêlées à la guerre d'Espagne. Ce fut le point de départ, en croisant avec des thématiques : comment on se transforme ? Comment on est marqué par les événements ?  Il y a encore une vie à écrire et des expériences à faire dans ce dernier parcours de vie.

Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou : 
« Le déclic, c’est la une du Monde, l'article de Florence Aubenas à propos de la grève dans les EPHAD [Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes]. Les projecteurs ont été braqués sur les EPHAD. Je suis professeure de lettres, je me suis dit : « Oui ! Il faut écrire ». La majorité de la population avec laquelle je travaillais considérait qu'il n'y avait rien à dire.  C’est le rôle de la littérature de s'interroger sur les mots : « exclusion », « hébergement »…Etymologiquement un hébergement est un campement pour militaires, quelque chose de transitoire, cela a une connotation péjorative. Au fil de trente et un textes brefs, cela permet d'interroger nos pratiques langagières. C'est aussi par plaisir... La construction littéraire dans un lieu d'exclusion, un univers clivé personnel/résidents, cela permet des points de vue complètement disparates. Pas de collection mais une construction littéraire : chaque personnage va revenir dans un texte proche ou éloigné, ceux qui sortent s'expriment avec un « tu », les résidents avec un « je » murmuré,  presque épistolaire…
Il y a une insuffisance de personnel. Il fallait écrire pour sortir du temps paradoxal de l'EPHAD.  Le personnel travail à un rythme comme sur un chaîne de montage avec des personnes au ralenti. Il a aussi la synecdoque du numéro de chambre : c’est d’une extrême violence quand on dit « la chambre numéro tant » à la place du nom. J’ai cherché à dire cela en distanciant, par l’humour noir… »

Catherine Gucher : 
« La révolution cubaine, c’est un symbole, une métaphore presque, dans le monde, et c’est aussi la révolution intérieure. Une vie c'est un ensemble de révolutions. On utilise le thème de « bifurcation » en sociologie, pour construire son histoire, son identité. C’est le symbole des croyances, des utopies, d'une période… Des personnes qui se sont enflammées dans les années 70 pour faire œuvre, pour un monde plus humain. Le roman commence avec la mort de Fidél Castro. Jeanne, qui habite sur les hauts plateaux d'Ardèche, voit son monde s'effondrer, les utopies se délitent. Elle se pose la question : Qu'a-t-elle transmis? Retourner à Cuba, c’est se retourner sur soi même, comme lorsqu’on fait un bilan de vie en gérontologie. »

Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« Ce qui joue ce rôle chez moi, c'est la chanson. Colette Magny, par exemple. L’obligation de distancier la révolution comme marqueur générationnel et affectif. C’est un levier de bilan de vie et d'inclusion, la danse en particulier : comme cette étudiante qui a voulu faire découvrir le hip-hop aux résidents... Pour voir comment la fiction va se passer. Je me suis rendu compte de la représentation dégradée de la vieillesse après avoir travaillé à l'étranger : c'est quoi nos étudiants ?  C'est Tintin en Afrique ? ! Il y a une dé-liaison sociale telle, comme si on avait déjà casé les personnes âgées vers la sortie… Quelle société voulons-nous ? Pour quelles inclusions ? »

Comme le dit très justement une personne du public, au délicieux accent québécois : "C’est un tsunami qu'est passé dans nos idéaux ! Qu'est-ce qu'on fait avec ça?"



Catherine Gucher :
« Un auteur porte la parole de quelqu'un qui ne le peut pas, on a chacun une personnalité d'auteur. Dans mon premier roman Transcolorado, je voulais donner voix à des personnages à la marge, des gens de peu comme disait Pierre Sansot, dire des vies qui valent la peine d'être vécues, comment retourner des situations. »

Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« Comme pour le personnage d'Yvonne : elle en veut à la terre entière, elle est hémiplégique, odieuse avec les autres, c'est pas possible ! Une adolescente qui accompagne sa mère à l’EPHAD la rencontre. Yvonne a une réaction épouvantable quand une bénévole propose à qui veut de replanter des géraniums. L’adolescente la remet en place, et plutôt vertement ! On passe de la méconnaissance à la reconnaissance : on apprend qu’Yvonne a été astrophysicienne, elle va faire bouger les choses… »

Catherine Gucher :
« J'ai commencé à écrire avec de la poésie, une tentative de suggérer des images à partir des mots. Jeanne est un personnage extraordinaire, comme il y en a tant. Elle a soixante huit ans, elle vit sur les hauts plateaux d'Ardèche, c’est un personnage dans la vie, dans la passion des idéaux, de l'amour, habitée par un amour passé, de jeunesse, qui n'a pas pu être vécu. Qu'est-ce qui importe à ce moment là de l'existence ? Ruben, son amour, son rêve c'est de vivre en nombre pair. Pour Jeanne c'est moins tranché, plus difficile… »
 
Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« Un autre lien avec les deux livres, c’est la relation difficile avec le fils. Des enfants peuvent devenir tyranniques, par goût de mettre en sécurité leurs parents, ils ne se posent pas de question quant à  leurs désirs. Ce n’est pas parce qu’on est vieux que l'on va se laisser faire !  Dans le livre les textes sont imprimés en noir à 50%, pour montrer la voix qui murmure. Ça rebondit entre les deux livres, le désir profond de se réconcilier : l'éclipse de l'astrophysicienne s'annonce. »



Catherine Gucher :
« Je voulais dire la passion, le désir, la beauté des gestes du vieillissement. Il y a d'emblée la beauté de Jeanne, dans sa vieillesse. Il y a une scène d’amour physique au début du livre. La pensée de l'amour chez des personnes vieillissantes est taboue. On dirait qu'ils n'ont plus de corps, pas de corps beaux, désirables. On voit l'épaisseur de la vie incarnée : quand Ruben nage et remonte sur la rive, il a un corps magnifique, un corps marqué par les engagements, les souffrances, c'est quelque chose qui socialement n'est pas porté. Ce sont des personnages complètement ancrés dans l'univers, qui vivent le prolongement de la beauté du soleil dans les calanques de cassis, dans les plateaux hauts-ardéchois, de par leur fragilité, leur attention l'un à l'autre. »

Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« La beauté est dans leur fragilité, dans ces gestes touchants, difficiles, pour lesquelles ils s'appliquent… Comme quand un membre du personnel s'émeut de voir une personne bailler parce qu'elle est bien… L'infantilisation est telle en EPHAD que ça rejaillit sur le personnel soignant. Pour en revenir à Yvonne, la jeune fille lui parle enfin comme à une adulte. Il y a une tension forte dans laquelle les personnels se débattent. Faut-il garder les personnes âgées sous cloche ou les reconnaître comme des adultes ? S’agit-il de protection ou de surprotection ? L’idée que, quand on est vieux on retombe en enfance, je ne veux plus entendre ça ! On les dépossède de leur personne, de leur identité, par le recours systématique au « On » : on a bien dormi ?  Il peut aussi y avoir une forme de complicité, de la part d’une génération de personnes âgées, des femmes qui ont eu une position de soumission pendant leur vie, qui n’ont pas eu la capacité de revendication d'existence, c'est la génération d'après soixante ans... Face à une revendication forte les milieux sociaux jouent aussi fortement : faute de moyens, chronopathie verbale : « Alors mamie, café ? »… On enfile une blouse blanche et aussitôt on est en position de domination !"

*Réseau d’Études International sur l’Âge, la CitoyenneTé et l’Intégration Socio-économique:
https://www.reiactis.com/