Une rencontre étonnante - et
passionnante! - à l’occasion du 6e Colloque international organisé par REIACTIS* sur
le thème : "Société inclusive et avancée en âge", autour de deux
ouvrages, deux fictions : « Et qu’importe la Révolution » de Catherine
Gucher (publié aux éditions Le mot et le reste) et « Un été en EHPAD, situation
critique » de Rosalou (publié par H diffusion).
Rencontre animée avec un
enthousiasme redoublé par Anne-Marie : « C’est une super découverte ! Deux
livres que je n'aurais pas lus, deux livres complètement différents ! ». Deux fictions pour aborder un thème escamoté - représentatif du déni ou des représentations
que l’on se fait de cette étape de la vie.
Quelle genèse pour ces livres,
puisqu’il s’agit de littérature et non pas d’essais ?
Catherine Gucher :
« Le titre ne l'aise pas penser que ça
parle des vieux, du processus de vieillissement, ce qui advient du désir,
comment on se positionne, ce qu’on a transmis… J’ai été assistante sociale
auprès des personnes âgées puis chercheure. Dans les remerciements, à la fin du
livre, je remercie des Espagnols rapatriés d'Algérie, des personnes mêlées à la
guerre d'Espagne. Ce fut le point de départ, en croisant avec des thématiques :
comment on se transforme ? Comment on est marqué par les événements ? Il y a encore une vie à écrire et des
expériences à faire dans ce dernier parcours de vie.
Geneviève
Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« Le déclic, c’est la une du Monde,
l'article de Florence Aubenas à propos de la grève dans les EPHAD
[Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes]. Les projecteurs
ont été braqués sur les EPHAD. Je suis professeure de lettres, je me suis dit : « Oui !
Il faut écrire ». La majorité de la population avec laquelle je
travaillais considérait qu'il n'y avait rien à dire. C’est le rôle de la
littérature de s'interroger sur les mots : « exclusion », « hébergement »…Etymologiquement
un hébergement est un campement pour militaires, quelque chose de transitoire,
cela a une connotation péjorative. Au fil de trente et un textes brefs, cela
permet d'interroger nos pratiques langagières. C'est aussi par plaisir... La construction
littéraire dans un lieu d'exclusion, un univers clivé personnel/résidents, cela
permet des points de vue complètement disparates. Pas de collection mais une
construction littéraire : chaque personnage va revenir dans un texte proche
ou éloigné, ceux qui sortent s'expriment avec un « tu », les
résidents avec un « je » murmuré, presque épistolaire…
Il y a une insuffisance de personnel. Il fallait écrire pour sortir du temps
paradoxal de l'EPHAD. Le personnel
travail à un rythme comme sur un chaîne de montage avec des personnes au
ralenti. Il a aussi la synecdoque du numéro de chambre : c’est d’une extrême
violence quand on dit « la chambre numéro tant » à la place du nom. J’ai
cherché à dire cela en distanciant, par l’humour noir… »
Catherine Gucher :
« La
révolution cubaine, c’est un symbole, une métaphore presque, dans le monde, et c’est
aussi la révolution intérieure. Une vie c'est un ensemble de révolutions. On
utilise le thème de « bifurcation » en sociologie, pour construire
son histoire, son identité. C’est le symbole des croyances, des utopies, d'une
période… Des personnes qui se sont enflammées dans les années 70 pour faire œuvre,
pour un monde plus humain. Le roman commence avec la mort de Fidél Castro. Jeanne,
qui habite sur les hauts plateaux d'Ardèche, voit son monde s'effondrer, les
utopies se délitent. Elle se pose la question : Qu'a-t-elle transmis?
Retourner à Cuba, c’est se retourner sur soi même, comme lorsqu’on fait un
bilan de vie en gérontologie. »
Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« Ce qui joue ce rôle chez moi, c'est
la chanson. Colette Magny, par exemple. L’obligation de distancier la
révolution comme marqueur générationnel et affectif. C’est un levier de bilan
de vie et d'inclusion, la danse en particulier : comme cette étudiante qui
a voulu faire découvrir le hip-hop aux résidents... Pour voir comment la
fiction va se passer. Je me suis rendu compte de la représentation dégradée de
la vieillesse après avoir travaillé à l'étranger : c'est quoi nos étudiants
? C'est Tintin en Afrique ? ! Il y a une dé-liaison sociale telle, comme
si on avait déjà casé les personnes âgées vers la sortie… Quelle société voulons-nous ?
Pour quelles inclusions ? »
Comme le dit très justement une
personne du public, au délicieux accent québécois : "C’est un tsunami
qu'est passé dans nos idéaux ! Qu'est-ce qu'on fait avec ça?"
Catherine Gucher :
« Un auteur porte la parole de
quelqu'un qui ne le peut pas, on a chacun une personnalité d'auteur. Dans mon premier
roman Transcolorado, je voulais donner voix à des personnages à la marge, des
gens de peu comme disait Pierre Sansot, dire des vies qui valent la peine
d'être vécues, comment retourner des situations. »
Geneviève
Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« Comme pour le personnage
d'Yvonne : elle en veut à la terre entière, elle est hémiplégique, odieuse
avec les autres, c'est pas possible ! Une adolescente qui accompagne sa
mère à l’EPHAD la rencontre. Yvonne a une réaction épouvantable quand une
bénévole propose à qui veut de replanter des géraniums. L’adolescente la remet
en place, et plutôt vertement ! On passe de la méconnaissance à la
reconnaissance : on apprend qu’Yvonne a été astrophysicienne, elle va
faire bouger les choses… »
Catherine Gucher :
« J'ai commencé à écrire avec
de la poésie, une tentative de suggérer des images à partir des mots. Jeanne est
un personnage extraordinaire, comme il y en a tant. Elle a soixante huit ans,
elle vit sur les hauts plateaux d'Ardèche, c’est un personnage dans la vie,
dans la passion des idéaux, de l'amour, habitée par un amour passé, de jeunesse,
qui n'a pas pu être vécu. Qu'est-ce qui importe à ce moment là de l'existence ?
Ruben, son amour, son rêve c'est de vivre en nombre pair. Pour Jeanne c'est
moins tranché, plus difficile… »
Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
« Un autre lien avec les deux
livres, c’est la relation difficile avec le fils. Des enfants peuvent devenir
tyranniques, par goût de mettre en sécurité leurs parents, ils ne se posent pas
de question quant à leurs désirs. Ce n’est pas parce qu’on est vieux que
l'on va se laisser faire ! Dans le
livre les textes sont imprimés en noir à 50%, pour montrer la voix qui murmure.
Ça rebondit entre les deux livres, le désir profond de se réconcilier : l'éclipse
de l'astrophysicienne s'annonce. »
Catherine Gucher :
« Je voulais dire la passion, le
désir, la beauté des gestes du vieillissement. Il y a d'emblée la beauté
de Jeanne, dans sa vieillesse. Il y a une scène d’amour physique au début du
livre. La pensée de l'amour chez des personnes vieillissantes est taboue. On
dirait qu'ils n'ont plus de corps, pas de corps beaux, désirables. On voit
l'épaisseur de la vie incarnée : quand Ruben nage et remonte sur la rive,
il a un corps magnifique, un corps marqué par les engagements, les souffrances,
c'est quelque chose qui socialement n'est pas porté. Ce sont des personnages
complètement ancrés dans l'univers, qui vivent le prolongement de la beauté du
soleil dans les calanques de cassis, dans les plateaux hauts-ardéchois, de par
leur fragilité, leur attention l'un à l'autre. »
Geneviève Chovrelat-Péchoux, alias Rosalou :
*Réseau d’Études International sur l’Âge, la CitoyenneTé et l’Intégration Socio-économique:
https://www.reiactis.com/