Où les mots se déplacent sans attestation dérogatoire
Il
était question, il y a peu de temps, de Pierre Jakez Hélias auteur de Le Cheval d’orgueil,
véritable succès en 1975.
En réponse à ce livre
qui dérange, Xavier Grall (1930 - 1981), poète, écrivain et journaliste breton
écrit Le Cheval couché sorti en juin
1977, « ce qui amène les deux compagnons d’écurie à se retrouver côte à
côte dans les vitrines des librairies ».
Yves
Loisel, journaliste et biographe explique dans la préface :
…
Le
Cheval couché
constitue un repère immanquable quand on évoque les années 70 en Bretagne, la
polémique suscitée par la parution du Cheval
d’orgueil en 1975 restant dans toutes les mémoires, de même que les passes
d’armes opposant le poète à Pierre Jakez Hélias.
…
Ce que reproche Grall à Hélias, c’est d’avoir
décrit avec complaisance une Bretagne désuète et figée, un peuple assis et
résigné, une civilisation morte et enterrée. Il y a là, estime-t-il, une vision
rétrécie, incomplète du pays et une philosophie passéiste nuisible.
Pour exprimer sa
rage, l’écrivain lance de furieuses ruades, cingle, cravache, dénonce
l’arrogance parisienne et rappelle aussi la part prise par la France dans
l’appauvrissement de la Bretagne. Partial, excessif, il se déchaîne n’hésitant
pas à appeler l’auteur du Cheval
d’orgueil « Jakez l’Ancien » et à le traiter d’ « être tombal ». Quant
au fameux cheval, il est tout simplement qualifié d’ « empaillé » !
Autant d’outrances qui feront dire à Charles Le Quintrec dans Ouest-France : « Qu’on ait pu
écrire un tel ouvrage pour essayer de diminuer, dans le public, l’espèce de
ferveur que Le Cheval d’orgueil avait
soulevée me paraît être plus qu’une erreur, une faute. »
En fait, Xavier Grall – ce n’est pas nouveau
chez lui – refuse d’accréditer l’idée que la civilisation bretonne est finie,
que son pays est sans avenir, que le combat est inutile « La Bretagne est
vivante. », affirme-t-il à chaque interview. « Le peuple breton est vivant. » Mais assure-t-il aussi, ce n’est pas en
glorifiant le passé, surtout quand ce passé est misérable, que l’on construira
la Bretagne de demain. « Je n’attends rien des chevaux couchés. », écrit-il
dans son livre, « ils ne vont pas à la mer… ».
Car la vision qu’il a de son pays est celle
d’une Bretagne ouverte au monde, aux échanges, créatrice avant tout, « créatrice
de valeurs », précisera-t-il même. Pour appuyer son propos, il consacre deux
chapitres du Cheval couché aux
écrivains et chanteurs qui, à la fin des années 70, comptent non seulement en
Bretagne mais aussi à l’étranger. Une stèle flamboyante qu’il oppose avec
enthousiasme au tombeau élevé par Hélias à la simple Bigoudénie. « La création
passe par les tempêtes. Il nous faudra semer dans l’orage et l’ouragan. »,
souligne-t-il dans son livre.
…
« J’ai montré dans ces pages combien vives
sont les promesses de notre renouvellement. », écrivait Xavier Grall à la fin
du Cheval couché.
Etonnante prémonition. Oui, comme il avait vu
loin, le guetteur sur la plus haute tour !
Voici
un extrait tiré du chapitre premier : La Folle-Pensée
Hameau
de la Folle-Pensée ! Village nommé Néant ! Plus loin, les
innombrables Kergrist. Et, à mesure que l’on va vers l’Ouest, laissant derrière
soi le pays Gallo, les toponymes se celtisent, les rudes « Ker » s’ensoleillent
de genêts, et c’est la ballade des « Plou » et des « Land ».
Mon
pays…
Te
faire par la harpe et le fusil, contre les renégats, contre les prudents, les
Scribes et les cuistres, tous ces chevaux couchés.
J’irai
à la mer où ne vont point les chevaux morts ; car elle est l’invite et le
principe. Car elle est la vie. Car elle est celtique. Libre…
Paysages
qui m’enfantez et que j’invente. Réel imaginé, tout s’imagine.
…
Voici
ma patrie. La seule. Car il n’y a pas de « grandes » et de « petites » patries,
comme le prétendent les niaiseries régionalistes ! Je ne mets pas mon
identité bretonne dans l’arrière-boutique. Elle est ma devanture, ma parure et
ma nature.
…
Je
rassemble dans ma vision, des pays divers, un pluralisme végétal et spirituel,
une fédération de clans, un réseau de haies.
…
Bretagne,
multiple dans son unité secrète.
Xavier
Grall n’était pas bretonnant et cependant il était breton de pied en cap.
Comme
beaucoup de son âge, après ses études parisiennes, il a été contraint à la
guerre d’Algérie.
Comme
beaucoup il a été abasourdi par ce qu’il a vu. Cantique à Mellila, son premier roman, lui aura permis d’expurger
sa détresse. L’Association Ar Vro Bagan l’a traduit en breton et en a tiré
une émouvante pièce de théâtre.
Aujourd’hui
Emgleo Breiz nous offre Solo.
Un poème qui inscrit
les poèmes
dans la litanie des
saints,
Les musiciens, en
lieu et place des poètes,
Le paysan, le matelot
et chacun des fils de
l’homme,
en lieu et place des
musiciens du monde.
Voici
un extrait :
« Tu m’emportes
à cheval sur le vent
et tu me dissous dans
une tempête. »
Livre
de Job, 31
Seigneur me voici c’est moi Aotrou Doue, me eo
J’arrive de lointaine Bretagne Emaon o tond euz Breiz-Izel
O ma barque belle O va bagig koant
Parmi les bleuets et les dauphins E-touez leuniou glaz ha delfined
Les brumes y sont plus roses Gand he mogidell damrusoh
Que les toits de l’Espagne Eged toennou Bro-Spagn
Je viens d’un pays de marins Emaon o tond euz eur vro a vartoloded
Les rêves sur les vagues Du-hont war an houl ema an huñvreno o
Sont des jeunes rameurs [verdei
Qui vont aux îles bienheureuses Daved inizi al levenez
De la grande mer du Nord E-kreiz
mor braz an hanternoz
Je viens d’un pays musicien Emaon o tond euz eur vro a zonerien
Liesse colères et remords Ganto joa kounnar pe geuz a yud en
aveliou
Amènent les vents hurleurs Dre henou digor ar perzier-mor
Sur le clavier des ports Emaon
o tond euz eur vro gristen
Je viens d’un pays chrétien Va
Galile el lennou hag ar balan
Ma Galilée des lacs et des ajoncs Achantourez an durzunell
Enchante les tourterelles Ekaniennou miz Ebrel
Dans les vallons d’Avril
Un court portrait de Xavier Grall sur France3 Bretagne
Le 8 juillet 1977 était diffusée une émission spéciale d'Apostrophes sur la Bretagne :
"Pebezh Breizh, pebezh bretoned ?", "quelle Bretagne, quels bretons". En voici un extrait :
par
Nadine