vendredi 8 mai 2020

Xavier Grall

Où les mots se déplacent sans attestation dérogatoire



Il était question, il y a peu de temps, de Pierre Jakez Hélias auteur de Le Cheval d’orgueil, véritable succès en 1975.
En réponse à ce livre qui dérange, Xavier Grall (1930 - 1981), poète, écrivain et journaliste breton écrit Le Cheval couché sorti en juin 1977, « ce qui amène les deux compagnons d’écurie à se retrouver côte à côte dans les vitrines des librairies ».






Yves Loisel, journaliste et biographe explique dans la préface :
Le Cheval couché constitue un repère immanquable quand on évoque les années 70 en Bretagne, la polémique suscitée par la parution du Cheval d’orgueil en 1975 restant dans toutes les mémoires, de même que les passes d’armes opposant le poète à Pierre Jakez Hélias.
Ce que reproche Grall à Hélias, c’est d’avoir décrit avec complaisance une Bretagne désuète et figée, un peuple assis et résigné, une civilisation morte et enterrée. Il y a là, estime-t-il, une vision rétrécie, incomplète du pays et une philosophie passéiste nuisible.
Pour exprimer sa rage, l’écrivain lance de furieuses ruades, cingle, cravache, dénonce l’arrogance parisienne et rappelle aussi la part prise par la France dans l’appauvrissement de la Bretagne. Partial, excessif, il se déchaîne n’hésitant pas à appeler l’auteur du Cheval d’orgueil « Jakez l’Ancien » et à le traiter d’ « être tombal ». Quant au fameux cheval, il est tout simplement qualifié d’ « empaillé » ! Autant d’outrances qui feront dire à Charles Le Quintrec dans Ouest-France : « Qu’on ait pu écrire un tel ouvrage pour essayer de diminuer, dans le public, l’espèce de ferveur que Le Cheval d’orgueil avait soulevée me paraît être plus qu’une erreur, une faute. »
En fait, Xavier Grall – ce n’est pas nouveau chez lui – refuse d’accréditer l’idée que la civilisation bretonne est finie, que son pays est sans avenir, que le combat est inutile « La Bretagne est vivante. », affirme-t-il à chaque interview. « Le peuple breton est vivant. »  Mais assure-t-il aussi, ce n’est pas en glorifiant le passé, surtout quand ce passé est misérable, que l’on construira la Bretagne de demain. « Je n’attends rien des chevaux couchés. », écrit-il dans son livre, « ils ne vont pas à la mer… ».
Car la vision qu’il a de son pays est celle d’une Bretagne ouverte au monde, aux échanges, créatrice avant tout, « créatrice de valeurs », précisera-t-il même. Pour appuyer son propos, il consacre deux chapitres du Cheval couché aux écrivains et chanteurs qui, à la fin des années 70, comptent non seulement en Bretagne mais aussi à l’étranger. Une stèle flamboyante qu’il oppose avec enthousiasme au tombeau élevé par Hélias à la simple Bigoudénie. « La création passe par les tempêtes. Il nous faudra semer dans l’orage et l’ouragan. », souligne-t-il dans son livre.
                                                                                               
« J’ai montré dans ces pages combien vives sont les promesses de notre renouvellement. », écrivait Xavier Grall à la fin du Cheval couché.
Etonnante prémonition. Oui, comme il avait vu loin, le guetteur sur la plus haute tour !

  

Voici un extrait tiré du chapitre premier : La Folle-Pensée

Hameau de la Folle-Pensée ! Village nommé Néant ! Plus loin, les innombrables Kergrist. Et, à mesure que l’on va vers l’Ouest, laissant derrière soi le pays Gallo, les toponymes se celtisent, les rudes « Ker » s’ensoleillent de genêts, et c’est la ballade des « Plou » et des « Land ».
Mon pays…
Te faire par la harpe et le fusil, contre les renégats, contre les prudents, les Scribes et les cuistres, tous ces chevaux couchés.
J’irai à la mer où ne vont point les chevaux morts ; car elle est l’invite et le principe. Car elle est la vie. Car elle est celtique. Libre… 
Paysages qui m’enfantez et que j’invente. Réel imaginé, tout s’imagine.
            Voici ma patrie. La seule. Car il n’y a pas de « grandes » et de « petites » patries, comme le prétendent les niaiseries régionalistes ! Je ne mets pas mon identité bretonne dans l’arrière-boutique. Elle est ma devanture, ma parure et ma nature. 
Je rassemble dans ma vision, des pays divers, un pluralisme végétal et spirituel, une fédération de clans, un réseau de haies.
Bretagne, multiple dans son unité secrète.


Xavier Grall n’était pas bretonnant et cependant il était breton de pied en cap.
Comme beaucoup de son âge, après ses études parisiennes, il a été contraint à la guerre d’Algérie.
Comme beaucoup il a été abasourdi par ce qu’il a vu. Cantique à Mellila, son premier roman, lui aura permis d’expurger sa détresse. L’Association Ar Vro Bagan l’a traduit en breton et en a tiré une émouvante pièce de théâtre.

Aujourd’hui Emgleo Breiz nous offre Solo.

Un poème qui inscrit les poèmes
dans la litanie des saints,
Les musiciens, en lieu et place des poètes,
Le paysan, le matelot
et chacun des fils de l’homme,
en lieu et place des musiciens du monde.

Le dernier poème achevé par Xavier Grall, peu avant sa mort au mois de décembre 1981… il n’avait que cinquante et un ans !






Voici un extrait :

« Tu m’emportes à cheval sur le vent
et tu me dissous dans une tempête. » 

                                                                                  Livre de Job, 31





Seigneur me voici c’est moi                                      Aotrou Doue, me eo
J’arrive de lointaine Bretagne                                   Emaon o tond euz Breiz-Izel
O ma barque belle                                                     O va bagig koant
Parmi les bleuets et les dauphins                             E-touez leuniou glaz ha delfined
Les brumes y sont plus roses                                  Gand he mogidell damrusoh
Que les toits de l’Espagne                                        Eged toennou Bro-Spagn
Je viens d’un pays de marins                                   Emaon o tond euz eur vro a vartoloded
Les rêves sur les vagues                                         Du-hont war an houl ema an huñvreno o
Sont des jeunes rameurs                                                                      [verdei                  
Qui vont aux îles bienheureuses                              Daved inizi al levenez
De la grande mer du Nord                                        E-kreiz mor braz an hanternoz                     
Je viens d’un pays musicien                                    Emaon o tond euz eur vro a zonerien
Liesse colères et remords                                        Ganto joa kounnar pe geuz a yud en aveliou
Amènent les vents hurleurs                                      Dre henou digor ar perzier-mor
Sur le clavier des ports                                             Emaon o tond euz eur vro gristen
Je viens d’un pays chrétien                                      Va Galile el lennou hag ar balan       
Ma Galilée des lacs et des ajoncs                            Achantourez an durzunell
Enchante les tourterelles                                          Ekaniennou miz Ebrel
Dans les vallons d’Avril


 Un court portrait de Xavier Grall sur France3 Bretagne

Le 8 juillet 1977 était diffusée une émission spéciale d'Apostrophes  sur la Bretagne :
"Pebezh Breizh, pebezh bretoned ?", "quelle Bretagne, quels bretons". En voici un extrait :
                                                             
                                                                  par Nadine