Rencontre avec David Dufresne
pour son livre Dernière
sommation
David Dufresne, écrivain,
journaliste et réalisateur est l’auteur d’une dizaine ouvrages d'enquête. Il
tient également un blog sur Mediapart*.
Passage à la fiction
« Le livre s’ouvre par une dédicace au signalés et à leurs enfants. Mais d’abord
je voudrais savoir si Zoé est présente ? Cette jeune fille a été contrôlée par
des policiers devant la gare de Metz parce qu’elle lisait mon livre. (https://www.republicain-lorrain.fr/edition-de-metz-ville/2019/11/23/controlee-pour-la-lecture-d-un-livre-anti-flics).
Les seuls livres intéressants sont ceux intéressant la police ! A propos
de la dédicace, le livre est un geste pour eux, je les ai accompagnés. Il y a
eu deux personne décédées, Zineb Redouane, Steve Maia Caniço, vingt cinq
personnes éborgnées, des mutilations, cinq mains arrachées, un testicule… La dédicace est pour eux et mes enfants, une
coquetterie d'auteur.
On a un personnage de journaliste mal rasé, cheveux en bataille, de retour du
Canada avec sa compagne, leurs enfants qui trouvent qu'il passe beaucoup de
temps à regarder des images de violences. Ça parle du monde de demain. »
A propos de Foucault et du refus de la lâcheté à laquelle nous participons tous
plus ou moins : il y a certes le bruit des bottes mais il y a aussi le
bruit des pantoufles.
« Ah ! Vous citez Pleynel ! Est-il venu dans cette
librairie ? Comme dirait Pleynel : « Il faut penser contre soi même ».
Ça fait quinze ans que je cherche
comment raconter de vieilles histoires différemment. L’avantage du roman c’est
qu’il n’y a plus de off. Au bout de trente cinq ans de travail journalistique,
il y a un sentiment de liberté vertigineux ! Et puis l'urgence ! Il y aura des
sociologues qui vont nous raconter tout ça. Mais ça prend du temps. C'est une
biographie de l'actualité : malaxer la réalité, le faire au moment où elle
se passe. Le plus important c’est que les personnages du livre sont des
personnages composites. C'est très jouissif. Et au fond avec la fiction
on peut aller plus près de la réalité, surtout au point de vue du vocabulaire. On
passe son temps à revenir sur le texte. La réalité est toujours plus forte que
la fiction. Macron aurait été tué c'aurait été un très mauvais livre... il faut
être à la hauteur de l'actualité. »
A propos de la déclaration d’Emmanuel
Macron : « Ne parlez pas de “répression” ou de “violences
policières”, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit. »
« Alors Macron ! Cette déclaration est dans le livre, ces mots sont
inacceptables ! Non seulement il a le choix des armes mais il a également
le choix des mots. La police est extrêmement politisée. En mars 2019 il choisit
les mots : tel mot vous ne pouvez pas l'employer ! C’est une bataille
du savoir, avec mes Tweets et avec mon livre...
On peut pas laisser passer ça, le récit national cher à Maurras ne doit pas
appartenir à Le Pen, à Zemmour… L'histoire
est à écrire par tout le monde.
Empreinte du réel
« Depuis Tarnac il y a cette idée d'injecter du réel dans le récit. Pour mon
livre sur Brel, je pouvais aller à Bruxelles, à Amsterdam, aux Marquises… Et
puis finalement : Vesoul ! Je suis resté là bas. Il y a eu des rencontres
avec des personnages bréliens et des interviews de Brel : c'est du montage,
comme pour le rap, du sampling. C’est NTM, le mouvement dada, et l’hypertexte.
En littérature on peut écrire comme au dix-neuvième siècle… ça peut-être pas
mal de bousculer un peu ça, cette question : fiction ? Autofiction ?
C'est un peu triste. L'essentiel c'est le rythme, la mélodie, je suis un fan de
punk rock, pensez aux feuilletonnistes du dix-neuvième siècle, à Céline... On est
encore à se poser la question mais Flaubert à réglé la question : «Madame
Bovary, c’est moi ! ».
Les tweets sont éphémères, voici un
roman sans vidéo, c’est la force de la littérature de faire imaginer la violence.
Autant les appartements du préfet sont décrits assez exactement - la réédition
allemande de 1944 a été signé en partie à Montparnasse et en partie dans les
appartements du préfet, que j’ai visités lors des Journée du patrimoine –
autant le buste de Napoléon c'est une fiction ! Napoléon a créé la préfecture
de police de Paris… Je ne décris pas les vidéos, elles sont sur Twitter. Le cri de Vicky a existé, c’est le cri lancé à
Rennes en janvier par Gwendal (Lors d’une manifestation des
Gilets jaunes, à Rennes en janvier 2019, le Quimperlois Gwendal Leroy a perdu
son œil gauche. Une enquête de l’IGPN, la police des polices, est en cours). Ce cri pouvait être un ressort
fictionnel du roman. »
Allô place Beauvau ?
« Huit cent soixante et une fois j'ai contacté place Beauvau. On ne m’a pas
répondu. J'ai envoyé le livre à Castaner avec une dédicace : « On
s'appelle ? ». Il a mis en doute mon livre : « Les chiffres de M.
Dufresne sont faux. » Le lendemain Europe 1 sort les chiffres : ce
sont les pires chiffres d'audience. Au sondage « A-t-il été convaincant ? »
c’est le pire score !
Le Monde a appelé place Beauvau. Et là le cabinet du ministre a expliqué la confusion
du ministre mais aucun journaliste n'a repris la « confusion ». Il y
a eu des discussions en off mais pas avec Castaner. Tous les chapitres
s'ouvrent sur des tags, des graffitis, des petites phrases écrites sur les gilets
jaunes, du journal Plein le dos (https://pleinledos.org/).
Il y a une libération formidable ! Il faut être honnête, on est plus
attiré par une certaine rhétorique, tout n'est pas génial mais le peu qu'il y a
sur la masse c'est fabuleux ! »
Ils ont la police on a la peau dure
« Et puis il y a trois mois où il n'y a quasiment rien. Violence policière
puis silence médiatique. La violence est dans le déni. On a appris hier qu'il y
avait pour deux millions de commande de LBD ! (https://www.nouvelobs.com/societe/20191128.OBS21695/l-etat-commande-de-nouveaux-lbd-a-deux-pme-francaises.html).
A propos des policiers casseurs :
à l'époque je cherche dans l'histoire policière s’il y a des traces de
policiers casseurs. Il n'y en a pas. Mais je tombe sur un argument massue : « ça
se saurait, le prix à payer serait exorbitant ! ». Il y a eu des provocations
c'était indéniable, pour pousser à la faute. La manifestation place d'Italie du
5 décembre c'est un cas d'école, un guet apens… les vigiles plus ou moins payés
par la police place de l'Opéra, lors de la marche des sidérurgistes du 23 mars
1979… (https://www.humanite.fr/node/19158).
Au Fouquet’s il y a des casseurs… Parlons de la BAC. Le principe même, c'est
l'autonomie. Il faut faire du chiffre : tant de contrôle etc. C’est une vision
du monde, sa mission est de lutter contre la petite délinquance, donc tout est potentiellement
violent. Ces gens, en manifestation, sont en roue libre, ce sont eux qui pratiquent
le « saute-dessus », on leur demande d'aller au contact. On est
dans une zone extrêmement grise, il faut se méfier des images. A propos de Benalla
l'affaire court le roman. Pour moi c'est un troll, je lui ai demandé de l'interviewé,
je lui proposé un rendez-vous place de la Contrescarpe, je lui ai donné donne
mon numéro, il n’a pas répondu.
C’est une question de respect des Droits de l'homme. Benalla est un faux
policier qui fait du maintien de l'ordre, c’est illégal et illégitime, c’est
une garde prétorienne, on pourrait parler de milice et il est très peu
inquiété. Et dans l'esprit de tout le monde c'est possible, il a l'air d'un baqueux,
c'est normal. C’est mon premier signalement :
« Allô préfecture ? Qu'est-ce que vous faites là? » Je suis
heurté par la méthode et peu de gens réagissent. Il se passe le même jour, à la
première page du livre, l’incendie du McDonald de la Gare d’Austerlitz, BFM n'a
retenu que ça ! »
La loi c'est moi, je fais ce que je veux
« Il y a plusieurs duos dans le livre dont l’opposition Dhomme/Préfet. Dhomme
est le patron de la DOPC (Direction de l’ordre public et de la circulation) qui
gère à Paris les manifestations, face à un préfet très inquiet pour sa
place - dans la réalité il y a un préfet, Delpuech, qui a été démissionné
puis nommé au Conseil d'Etat pour qu'il ne parle pas - et son second qui est tiraillé entre une
vision républicaine de la police et une réalité qui est tout autre. Ces personnages
racontent l'envers du décor, ça explique les blessures… Il y a également Vicky
et sa mère.
Il y des chercheurs qui pensent qu'il fait rester au ras du bitume. Pasqua,
Castaner, ce sont ces gens là qui m’intéressent. Le tireur de LBD m'intéresse
moins que la chaîne de commandement. Le noeud du problème c'est l'Etat. C'est
pas là police qui m'intéresse c'est l'état policier. On n’est pas en 1933… mais
en 1932. Le mot démocrature je ne l'avais pas entendu au Canada. On a un glissement
depuis une dizaine d'années : l'état d'exception devient la règle. On voit
la préfecture tweeter des saisies… Il y a des contrôles préventifs : une
arme par destination ne devient telle que parce qu'elle a été utilisée.
En matière de terrorisme c'est prévu. C'est K. Dick, Minority report. L'effet découragement fonctionne. »
A propos de Dardel, le nom du journaliste
« J’étais en déplacement au Conseil de l'Europe, un type s'appelait comme ça,
ça sonnait bien ! Parfois ça réussit la critique de la machine médiatique.
Le journalisme est intéressant s'il incarne une forme de contrepouvoir. Là
c'est terrible, c'est une affaire sociologique, un peu économique aussi.
Ce n’est pas l'Ortf. Et il y a les réseaux sociaux c'est pas pour rien que j'ai
été sur Tweeter. Pour revenir à Zoé, elle aussi a eu le courage de tweeter
ça, d'avoir tenu bon face aux trolls qui ont été hyper pénibles. Je suis hyper
touché. Chez Grasset ils n'ont jamais entendu ça, quelqu'un qui s'est fait
contrôler. Il y a un lien avec Macron… en poussant un peu : « Je ne
veux pas entendre ces mots-là, vous ne pouvez pas lire ça », il ya comme
un parfum de 1932…
On est dans un continuum. Mon premier film c'était juste après les violences
policières de 2005 en Seine-Saint-Denis, Adama Traoré mort sous coups des
gendarmes. Ce dont on a parlé tout à l'heure, comment à un moment la BAC, les CRS,
Sarkozy, la sécurisation des quartiers sensibles, ces laboratoires, ces camps
d'entraînement… On étudie ça à travers des comités de travail. On voit que BFM
parle de violences policières et ne met pas de guillemets. Ça fait une semaine,
c'est une grande victoire. Ça avance un tout petit peu mais c'est déjà ça ! »