Brigitte Giraud était invitée à la
librairie pour son onzième roman…
Se souvenir des titres
La Chambre des parents
Nico
A
présent
Marée noire
L’amour est très surestimé
J’apprends
Une année étrangère
Avec
les garçons
Pas d’inquiétude
Avoir un corps
Nous serons des héros
Un loup pour l'homme
Et aujourd’hui : Jour de courage
(Flammarion, 2019) : Livio, un étudiant se révèle à travers un exposé fait en classe. On
pourrait présenter ce roman comme une pièce de théâtre : unité de lieu, de
temps, d’action.
« C’est l’histoire croisée qui
fait la richesse de ce roman, la rencontre de Livio, étudiant en pleine période
adolescente, avec Magnus Hirschfeld, médecin allemand. Je ne le connaissais pas... il a révolutionné
le début du siècle... et cette question, naïve lancinante, d'avoir du mal à
comprendre : quand on a devant les yeux tout les signes que le pire va arriver,
comment laisse-t-on le pire arriver ? À trente, quarante ans, que fait-on
avec l'histoire ? Que nous enseigne t- elle?
J’ai effectué des recherches sur les
premiers autodafés nazis, quand les premiers livres, les premières librairies
sont brûlées. J'ai rencontré ce médecin, exemplaire dans son combat, sa
posture. C’est le premier médecin à avoir fait des recherches sur la sexualité
humaine, des recherches point de vue scientifiques, sur l’égalité homme femme…
et qui a contribué à dépénaliser l'homosexualité. Il a crée l’Institut de sexologie,
qui était surtout un lieu de rencontres,
de paroles ; on se rend compte que tous les enjeux humains sont liés à ça.
Cet institut comprenait une grande
bibliothèque de vingt mille volumes, du monde entier, tous en lien avec la
sexualité, trois cent mille photos, en partie brûlées par les nazis.
Le « Paragraphe 175 » du code pénal allemand criminalisait
l'homosexualité. Hirschfeld a organisé une grande pétition, qui a recueilli cinq
mille signatures : Freud, Zola, Einstein, Rilke… On l'appelait d’ailleurs
l'Enstein du sexe.
Livio le rencontre lors d'un voyage à Berlin, il est interpellé par l'Histoire
qui fait de lui une figure d'exception. Tout le monde ne partage pas son point
de vue. Cette partie fut assez simple à raconter : faire en sorte qu'un
garçon de dix-sept ans se lance sur la question des autodafés, un des premiers
à y voir autre chose qu'un programme à préparer pour avoir ce foutu diplôme… En
histoire on se fait des fiches, on n’est pas traversé par des affects, la
méthode d'apprentissage fait qu'on est rempli d'un savoir académique. Certains étudiants sentent qu'il y a autre
chose. Ce rapport à l'apprentissage me fascine, ce monde-là, de la transmission,
est quelque chose qui m'a élevée.
Livio se sent homosexuel, se sent
différent. En lisant Thomas Mann il se dit qu'il y a une place pour lui dans ce
monde... Avant un moment de bascule : il va se jeter à l'eau devant ses
camarades. Pour sa prof et plus encore pour Camille, sa confidente, ça va être
difficile puisque Livio parle de son homosexualité sans parler de lui-même. »
Corps adolescent
« Ça fait partie des obsessions que je travaille. L'adolescent en chacun de
nous, c’est une période qu'on ne quitte
jamais. C’est une période d’apprentissage de la solitude, après l'enfance qui
se situe ailleurs… Un double salto arrière, une double période de deuil, de l’enfance,
des parents… se propulser vers quelque chose de très angoissant, à la fois
grisant et effrayant. Livio sent qu'il y a quelque chose de difficile pour lui,
la question de la virilité, quelque
chose de fragile dans le masculin, de la possible complexité dans le féminin… Avoir
un corps, c’est une injonction faite à l'enfant, par rapport à la famille, à la
société, devenir soit une fille soit un garçon… C’est une réponse aux
injonctions à l'adolescence : il voudrait dire quelque chose de lui à
Camille. On a tous un souvenir
terrifiant du moment où on doit faire un exposé ou inversement, quand on est
spectateur, on est excité par le danger auquel s’expose celui qui justement
s’expose. Comment s'habiller ? C'est Livio qui va s'exposer : un
bouton sur l'aile du nez, une salle de classe où va se jouer je dirais la
tragédie difficile d'être debout. Peut-être qu'ils vous écoutent ou peut-être
qu'ils regardent la marque sur vos vêtements, ils ne font pas de cadeau. Il faut voir
comment la parole de Livio avance dans cette microsociété, comment elle va
produire quelque chose, comme ça se produit dans notre société : drôlerie,
hostilité, lignes de forces, comment tout cela allait créer un engrenage, une
mini révolution qui met Livio en danger... »
Au delà des limites écriture incarnée
« J'ai rencontré quelques lycéens, pas beaucoup, pour leur laisser le
temps de lire. Ce qui m’a marquée c’est que je voyais déjà dans cette classe
quels garçons pouvaient être concernés… dans le roman c'est un narrateur
extérieur qui parle au sens indirect. Dans une autre version que j'ai jetée
c'est Camille qui prend la parole, mais ça ne marchait pas. Il y avait un lien
avec Mussolini : Livio va poser des
questions chez lui. Pourquoi ce qui est enseigné n'est jamais abordé dans les
familles ? Ce n’était pas possible que
Camille puisse être dans ce hors-champ, quand Livio était avec sa famille.
Le roman parle de l’homophobie qui peut
se loger partout, ça parle de cette minorité et des autres également. C’est
« un roman d'un amour impossible », un lecteur m'a dit ça. La chose
fondamentale à résoudre c'est : qui parle ? Trouver la bonne entrée. »
Des personnages qui viennent en aide
« Les amis c'est une telle force ! Les ados créent des relations tellement
fusionnelles, les séparations vont être très douloureuses… ils sont très forts
pour se recréer une famille, la où la leur pêche par tous les côtés. Il y a un Rapport
avec Une Année étrangère, une jeune fille qui lit Thomas Mann dans une famille d’accueil :
elle y découvre Mein Kampf, paru la même année où Mann reçoit le Prix Nobel. Il
y a un lien avec le grand frère qui lui envoie des K7 de pop langue anglaise,
qui la consolent, cette troisième langue… j'ai toujours imaginé que j'allais
être traductrice, j’ai fait des études de langues : dans une autre langue
on peut être anonyme ailleurs, sans que l'autre puisse vous posséder.
Entre la langue des ados et celle des parents à la maison, c’est le grand écart.
C’est un roman qui met en scène le langage : je ne voulais pas reproduire
la langue des ados, ça bouge très vite, c'est très inventif, plutôt le rapport
à la drôlerie, la vitesse, chambrer l'autre ou rater sa cible aussi. Il y a
dans la classe deux ados qui vont produire des bruits d'animaux, c’est un
rapport au corps, trente ados dans un espace confiné, hostiles… Quand Livio
parle du moment où les nazis vont brûler les lieux, il est question d’une liste
des noms des patients du Dr Herschfeld. Les nazis vont y trouver des noms de
leurs dignitaires, ce seront les premiers à être fusillés, très vite, pour
montrer l'exemple. Dans leur volonté de combattre tout ce est qui est non
allemand ce n'est pas tant le commerce entre hommes qui les gênent mais ce
qui remet en question leur idée de la race pure : de ne pas créer
une famille, reproduire la race. C'est la que ça bouge… »
Enseigner
« Je n'ai jamais enseigné, mais j'étais élève ! Pour mon roman
précédent j’ai pu me rendre compte de
tout un tas de choses dont je pressentais, comment dire… voir les enseignants
en histoire, là ou se joue quelque chose de compliqué, comment transmettre sans
faire de politique, dire sans dire, faire passer autrement. Et tenir, entre les
dérapages possibles dans la salle de classe, cet endroit très drôle… comment
déjouer tous les pièges, comment faire pour que les ados restent vivants, des
fois trop des fois pas assez. »
Retour de lecteurs
« Ce sont surtout des retours d'enseignants, très récemment, des retours
presque gênants, ils allaient dans le
bon sens… je ne sais pas encore… il y a d'abord des retours positifs, ceux qui
n'ont pas aimé se manifestent plus tard.
Pour la Scène Nationale de Dunkerque*,
j’ai écrit cinq textes, cinq monologues, qui donnent la parole notamment au
personnage de la prof. L'enseignant est toujours dans le départ, il y a le cours, ce qu'il y a avant, après, ça me
paraît énorme !
Hirschfeld est l'auteur d'une oeuvre considérable chez Gallimard, ce n'est pas
rien. Je voulais aller sur sa tombe, à Nice 68, près de la Promenade des Anglais.
Et là, rien, pas de plaque, une absence de présence d'un signe quelconque. La France avait promis de créer un institut,
cette promesse n’a pas été tenue. Je fais connaître l'histoire de Herschfeld,
je l'accompagne… je ne trouve pas le mot… le faire connaître… je n'en ai pas
fini, il y a toujours une figure de médecin dans mes livres. Comme dans la Montagne
magique, Davos, la Première Guerre, des tuberculeux, leur temps long… et chacun
vient de toute l'Europe, chacun va rencontrer quelqu'un qu'il n'aurait jamais
du rencontrer et qui va bouleverser sa vie… comme l’a fait une enseignante pour
moi, en histoire, c’était plutôt un cours de philo, sur le temps… »
*https://www.lebateaufeu.com/saison/2019-2020/temps_fort/39-histoires_en_serie/