vendredi 3 mai 2019

Rencontre du 11 juin 2019: Yves Ravey

Mardi 11 juin à 18:30
Librairie Autour du monde
44, Rue de la Chèvre, 57 000 Metz
Yves Ravey

Un nouveau roman d’Yves Ravey, c’est toujours une fête! Alors, bien sûr, il revient pour son malicieux « Pas dupe » .
Duper, duper, duperie se déclinent au rythme de la nouvelle affaire en cours qui lie Salvatore Meyer et l’inspecteur Costa.
… Mais où va-t-il donc chercher tout cela ? ! Ne croyez pas que l’on va vous en dire plus !
Allez, oui, juste les premières lignes, on ne peut résister !

« J’ai revu Kowalzki au bord du précipice, le jour où la voiture de Tippi est sortie de la route. Il contemplait le vide, l’air hagard. Je connaissais bien Kowalzki. Sa profession, agent d’assurances
à la compagnie Pacific, mais aussi, depuis pas mal de temps, amant de Tippi, ma femme, morte dans l’accident. C’est son corps à elle que je cherchais à distinguer maintenant, parmi les débris, au fond du ravin. » 


Une rencontre passionnante présentée par Anne-Marie et agrémentée de deux lectures d'Yves Ravey par Yves Ravey!.



Un titre qui questionne.
"Qui est dupe, qui est dupe de quoi ou de qui? Le livre comme une vaste interrogation… Je l'ai écrit avec plaisir. Il est venu de lui-même. Le titre en principe englobe le texte. Trouver le titre qui donne l'unité c'est pas simple ! Il faut qu'on soit en suspens quand on lit ce livre. Les personnages finissent par s'interroger les uns les autres. Parlons de l'épaisseur des personnages : ils ne savent pas à chaque page ce qui va advenir d'eux. Ça peut générer de l'inconfort mais ce n'est pas ce que je veux. Le personnage n'arrive que s'il y a question. C'est quand il s'interroge qu'il trouve sa fonction. Sa fonction d'enquêteur. Son questionnement fait avancer l'enquête. S'interroger du point de vue de l'enquête c'est s'interroger sur soi. Naturellement on entre à l'intérieur du personnage mais celui-ci garde sa fonction, il ne raconte pas sa vie par exemple.  Il active le roman par ses questions dans le dos du narrateur mais dans le mien également. Dans le fond c'est aussi dans le dos du lecteur. Dans n'importe quel roman un peu sensé il faut donner un peu d'informations : qu'est-ce qu'il fout?"

Six personnages en quête d'auteur ?
"Un personnage, Salvatore Meyer, qui habite près de Los Angeles. Un inspecteur lui annonce un matin deux choses : sa femme a eu un accident ;  sa femme est morte. Il se rend sur le lieu de l'accident et rencontre l'ex-amant de femme, amant depuis un certain temps... Et il rencontre l'inspecteur Costa.
Les États-Unis, Hollywood, Los Angeles, le prénom Tippi, Gladys Lamar... c’est un paysage cinématographique. Très souvent on a une idée du roman qui pose problème, qui reflète quelque chose du monde contemporain. Là, ça va, pourquoi je n'écrirai pas un roman qui me fait plaisir ? Ce qui peut me faire plaisir dans la journée ?  Quand je m'installe devant un écran pour regarder un film. Alors il a fallu que je me fasse un film ! Du cinéma américain des années 50, une mythologie avec des personnages qui correspondent à des codes."

Et Colombo?
"Ah ! Là-dessus je fais pas le malin! Moi aussi je l'ai vu, mais trop tard! Au bout d'une vingtaine de pages je me suis dis : Qui est-ce qui parle comme ça ?  C'est Peter Falk ! Là t'arrêtes, l'imperméable c'est pas possible, tu pars dans le naturalisme... tu laisses tomber l'attirail ! Le fait de parler comme ça… il parle avec une certaine compréhension, une certaine empathie, il veut aider. Et plus il veut aider plus il fouille et plus ça va finir chez le juge d'instruction !
Pour moi c’est Costa qui écrit le roman. En définitive je me rends compte que c'est la voix de Peter Falk mais quand je le vois c'est Chinatown, l'inspecteur du film de Polanski, l'acteur c'est Perry Lopez, c'est lui que j'ai en tête.
 
Gladys fait partie des personnages qui arrivent en milieu de récit. C'est Costa qui en parle. A partir de ce moment Salvatore ne peut pas continuer le récit sans la rencontrer. Je dis qu'elle est à l'intérieur du texte. C'est déclenché par l'inspecteur. Elle ne peut pas arriver autrement, c'est un dispositif. Il faut qu'elle ait un visage. Il est décrit dans la tête du lecteur. Ça me gêne qu'on décrive les corps, je ne sais pas faire ça, dans le roman on a fini ça depuis longtemps."

Bizarre

"Bizarre, ça veut dire qu'il y a un truc qui déconne, ça va pas. On peut pas l'expliquer. Les choses marchent avec des situations qui sont toujours en bascule. Je vous raconte une anecdote : un gamin sans permis, il roule en voiture, écrase deux enfants... c’est un fait divers. Ça fait partie des événements anodins qui ressortent par leur côté cruel. J’ai entendu Le Clezio à la radio : il dit qu’un livre doit vous changer… ça a l’air évident mais c’est cela ! Les personnages ne savent pas où ils vont..."


Un roman policier chez Minuit?

Question du public, de notre ami R., qui enchaîne : "Yves, L'Épave était le titre d’un de vos romans : ici on revient également sur une épave, très présente, un virage, une rencontre avec une voiture, accidentée... Le mot qui me vient c’est « complexité » : ce qui me charme dans votre livre c'est qu’il s’agit de textes fantômes, un petit livre gros de multiples livres fantômes. On n’est pas dupe du titre. Lacan dans son séminaire éponyme utilise la formule : « les non-dupes errent ». On peut se demander pourquoi le père de Salvatore le déteste, questionner son rapport à sa mère, et Bruce, le beau-père, qui est le dernier à le regarder...
On pourrait parler de la scène de la douche, penser à Psychose... il y a le désir du corps, la pulsion scopique. Face à Gladys, c’est une scène importante, Salavatore l'observe... le narrateur n'est pas digne de confiance ! Je pense également à Roger Ackroyd...
Il s'agit de tirer les fils, de mettre en relief un détail, créer des ouvertures vers d'autres mondes. Tout cohabite, il y a des réseaux, c'est très rhizomatique. La victime est une femme volage dans une chambre d'enfant, son père tel son surmoi habite au-dessus... à la fin Kowalski est remplacé par Bruce... comme Jean Bruce* ! Et Costa : Co comme Colombo et puis ça va ailleurs... c’est le même et c'est différent à la fois. Et le père de Salvatore est au chômage, il y a toujours un fond social, l’usine en démolition... "

Dialogues
"D'abord c'est comme je les entends parler dans ma tête : les voix ont toutes des qualités différentes. Rapporter des paroles sans mettre de guillemets, ça autorise le récit à avoir plus de poids. Il faut pas qu'il y ait la moindre ambiguïté si dix personnages parlent ! C'est là où c'est difficile. Le texte ne doit pas oublier qu'il est fabriqué à partir de la parole des gens.
J'ai d'abord un seul bloc de texte très long, écrit d'une manière pulsionnelle, au jour le jour. Au bout d'un mois et demi j'ai cette masse de texte,  puis j'éclaircis les phrases. Il n'y a pas de point, pas de ponctuation... même des choses illisibles, à cause de la fatigue ! Je rends lisible.  Il y a un stade de travail où tout ce qui est dit ne peut être que ce qui est observé.

Par exemple : là je rentre de Tunisie. On visite un site archéologique, des ruines romaines... J'ai pris 5 photos : le pare-brise de la voiture,  une barrière, un cadenas et au fond le temple ; une photo de scooter ; la route déserte avec la fumée d'une voiture qui vient de passer ; le gardien jette un caillou à un chien ; une voiture qu'il ne laisse pas passer, pour lui il s’agit de pilleurs de tombe. Il y a une sélection du réel, les photos alimentent au même titre que les notes, les croquis...

Il faut absolument que le lecteur imagine le personnage comme moi je l'imagine, mais très rapidement!"



Prochain texte ?
"Déjà j'ai le bloc, mais là j'ai un an et demi de travail!"




* Jean Bruce, de son vrai nom Jean Brochet, est un écrivain français né le mars 1921 à Beauvoir (Sarthe) et mort le mars 1963 à Luzarches (Val-d'Oise) dans un accident de voiture. Il est particulièrement connu pour être l'auteur des aventures de l'agent secret Hubert Bonisseur de La Bath, alias « OSS 117 », narrées dans la série littéraire du même nom et dont de nombreuses aventures ont été portées à l'écran depuis les années 1960.

(https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Bruce)