vendredi 21 mai 2021

Les vaincus

Quatre écrivains ne furent pas hostiles à la Commune.

Il s’agit de Rimbaud, Vallès, Villiers de l’Isle Adam et Verlaine.

Rappelons que Rimbaud avait seize ans au moment de la Commune, et que, s’il avait déjà écrit des poésies, c’était un illustre inconnu qui n’avait rien publié.

Vallès (né en 1832) avait écrit beaucoup d’articles dans des journaux républicains et d’opposition, et un roman, publié en 1869 en feuilleton.

Villiers de l’Isle Adam (né en 1838) avait publié des poésies, des nouvelles, et une pièce de théâtre.

Quant à Verlaine (né à Metz en 1844), il avait publié deux recueils de poésie.

Face à eux, tous les écrivains connus, ayant beaucoup publié, membres, pour certains, de l’Académie : Zola, Flaubert, George Sand, Dumas fils, Gautier, Leconte de Lisle, Alphonse Daudet, etc.

Victor Hugo est une exception sur un point : il désapprouva la Commune, à laquelle il ne comprenait rien, mais il condamna la répression et lutta pour une amnistie (votée en 1880).

 

Verlaine avait écrit, en 1867, un poème en deux parties, intitulé « Les vaincus », publié en 1867 et 1869. Il s’adressait aux victimes de la répression de 1848.

Après la Commune, probablement à Londres,  en 1872, il en composa deux autres qui en forment la suite. Il envisageait de donner le titre Les vaincus à un recueil entier. Celui-ci ne vit pas le jour. Le poème sera intégré au recueil Jadis et naguère. Voici les parties 3 et 4 :

 

 

III

 

 

Les vaincus se sont dit dans la nuit de leurs geôles :
Ils nous ont enchaînés, mais nous vivons encor.
Tandis que les carcans font ployer nos épaules,
Dans nos veines le sang circule, bon trésor.

Dans nos têtes nos yeux rapides avec ordre
Veillent, fins espions, et derrière nos fronts
Notre cervelle pense, et s’il faut tordre ou mordre,
Nos mâchoires seront dures et nos bras prompts.

Légers, ils n’ont pas vu d’abord la faute immense
Qu’ils faisaient, et ces fous qui s’en repentiront
Nous ont jeté le lâche affront de la clémence.
Bon ! la clémence nous vengera de l’affront.

Ils nous ont enchaînés ! mais les chaînes sont faites
Pour tomber sous la lime obscure et pour frapper
Les gardes qu’on désarme, et les vainqueurs en fêtes
Laissent aux évadés le temps de s’échapper.

Et de nouveau bataille ! Et victoire peut-être,
Mais bataille terrible et triomphe inclément,
Et comme cette fois le Droit sera le maître,
Cette fois-là sera la dernière, vraiment !


IV

Car les morts, en dépit des vieux rêves mystiques,
Sont bien morts, quand le fer a bien fait son devoir
Et les temps ne sont plus des fantômes épiques
Chevauchant des chevaux spectres sous le ciel noir.

La jument de Roland et Roland sont des mythes
Dont le sens nous échappe et réclame un effort
Qui perdrait notre temps, et si vous vous promîtes
D’être épargnés par nous vous vous trompâtes fort.

Vous mourrez de nos mains, sachez-le, si la chance
Est pour nous. Vous mourrez, suppliants, de nos mains.
La justice le veut d’abord, puis la vengeance,
Puis le besoin pressant d’opportuns lendemains.

Et la terre, depuis longtemps aride et maigre,
Pendant longtemps boira joyeuse votre sang
Dont la lourde vapeur savoureusement aigre
Montera vers la nue et rougira son flanc,

Et les chiens et les loups et les oiseaux de proie
Feront vos membres nets et fouilleront vos troncs,
Et nous rirons, sans rien qui trouble notre joie,
Car les morts sont bien morts et nous vous l’apprendrons.

 

Il fait écho à la chanson « La semaine sanglante », écrite en 1871 par Jean-Baptiste Clément : 

 

Oui mais ça branle dans le manche

Les mauvais jours finiront

Et gare à la revanche

Quand tous les pauvres s’y mettront

Quand tous les pauvres s’y mettront.

 

Par Etienne

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