mercredi 13 février 2019

Rencontre du 22 février 2019: Sébastien Raizer



La librairie "Autour du monde" :

Confession japonaise

Rencontre protéiforme ce vendredi 22 février 2019 et heureux prolongement : l’auteur, qui a élu domicile à Kyoto se trouve être un proche voisin d’une invitée récente de la librairie, venue également nous entretenir de sa passion pour le Japon, Corinne Atlan. La conversation érudite entre Sébastien Raizer et Francis Kochert a couvert un large spectre : littérature, géographie, histoire, musique, estampe, poésie, philosophie, technologie, arts martiaux…
Au vu de son œuvre et à l’écoute de ses propos, Sébastien Raizer semble avoir fait siens les mots de Mishima Yukio, une des ses influences majeures : « Le penchant de mon coeur vers la Mort, la Nuit, le Sang était indéniable. » Chaussé de geta et vêtu de nuances sombres, une amorce de tatouage affleurant sous la manche droite, l’ombre connaît aussi la couleur : rouge sang et nuit d’encre pour l’auteur et traducteur à la Série Noire ; blanc bruyant pour le cofondateur des Éditions du Camion Blanc (livres sur le rock, de Jimi Hendrix à Sonic Youth en passant, entre autres, par Joy Division et Nirvana) ; signes noirs sur blanc satori pour l’auteur adepte de zazen du « Petit éloge du zen » ; bleue comme la collection des Editions Mercure de France  où vient de paraître « Confession japonaise », toutes ces couleurs et d’autres enfin, susceptibles de se refléter sur la lame brillante du pratiquant de l’art du sabre iaidō.
Après avoir évoqué ses nombreuses influences en littérature (Burroughs, Tanizaki, Kawabata, Philip K. Dick…), les musiques rock-métal-indus baignant ses créations (les Stooges, Kraftwerk, Coil, Ministry…), ses nombreux voyages (Thaïlande, Corée du sud, Cambodge…) Sébastien Raizer nous parler du Japon, ce pays de culture millénaire mêlant tradition et extrême modernité, de cette culture aux concepts si différents des nôtres que l’on ne peut s’en faire qu’une représentation approximative, forts de nos modèles occidentaux… comment imaginer vivre au quotidien au milieu des revenants, des esprits, des myriades de divinités, démons, yureiyukaikami et autres femmes-fantômes alors que notre modèle néolibéral nous promet le bonheur pour tous grâce à la « positive attitude », l’éradication de la maladie par la génétique et la vie éternelle via l’intelligence artificielle ? Au pays du soleil levant la limite est floue entre le monde des morts et celui des vivants, une simple passerelle les relie… celle qu’empruntent les éveillés… y faisant résonner leurs socques, s’appuyant sur le bois centenaire d’essence rare de la rampe, adressant un regard aux carpes koî en contrebas, tendant l’oreille au vent venu des montagnes animer les bambouseraies avoisinantes, respirant le parfum des fleurs de cerisiers avant d’aller s’asseoir dans la fraîcheur d’un jardin pour boire un thé, vert ou blanc, en savourer la couleur subtile et l’amertume légère dans un bol noir, aux bords perlé de mille yeux embués… autant d’images que l’on peut retrouver chez les grands maîtres de l’estampe, Hokusai ou Hiroshige, évoquant l’impermanence et l’interpénétration des êtres et des choses animant le monde flottant et son supplément d’énergies invisibles…
Je retiendrai surtout de cet entretien au long cours cet étrange aller-retour : comment une certaine perception du monde basée sur « l’expérience et la respiration » de l’auteur influence sa pratique de l’écriture et comment cette écriture riche de sensations inouïes influence en écho les événements de son quotidien… Est-ce là le véritable « alignement des équinoxes » ? Pour en savoir plus vous pouvez toujours imaginer la suite ou agir suivant le non-agir : vous laisser absorber par la lecture des livres de Sébastien Raizer, selon ce principe tiré du « Traité des cinq roues » de Musashi Miyamoto : « Se forger dans la Voie en pratiquant soi-même, et non par le jeu des idées. »… Des livres comme des points de suspension au-dessus du vide.
1.       Sébastien Raizer,  « Petit éloge du zen » (Editions Gallimard, 2017).

Texte de Jean-François, photo-reportage par Anne et Jean-François