jeudi 26 mars 2020

Omar Khayyam

 Où les mots se déplacent sans attestation dérogatoire

Dans les chocs littéraires d’une vie, assurément, pour moi, Omar Khayyam occupe une place de choix. Je l’ai connu par l’intermédiaire d’un ces passeurs de littérature que j’affectionne, Guy Debord. Khayyam, comme Debord,  est un amateur de vin. Il est le chantre de l’ivresse :

Bois du vin… c’est lui la vie éternelle
C’est le trésor qui t’est resté des jours de ta jeunesse
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c’est ta vie.
(Quatrains, XXXVI)

Mais il est loin de n’être que cela ; c’est aussi un mécréant :

Une cruche de vin, les lèvres de l’aimée, sur le bord d’une pelouse
Ont tari mon argent, ont ruiné ton crédit
Toute la race humaine est vouée au Ciel ou à l’Enfer
Mais qui jamais est allé en Enfer, qui jamais revint du Ciel ?
(XLV)

qui n’hésite pas à apostropher Dieu :

Sur la route où je vais, en mille endroits, tu mets des pièges
Tu dis : « Je te prendrai si tu y mets le pied »
Pas un atome du monde n’échappe à ton pouvoir
Tu ordonnes toutes choses, et tu m’appelles révolté !
(CXLVIII)

un homme qui aspire au bonheur :

Ce que je veux, c’est une goutte de vin  couleur de rubis et un livre de vers
Et la moitié d’un pain, assez pour soutenir ma vie
Et si je suis alors assis près de toi, même en quelque lieu désert et désolé
Je serai plus heureux que dans le royaume d’un sultan.
(CXLIX)





Il pense à la mort sans en avoir peur, en profitant de l’instant :

Sois heureux, Khayyam, si tu es ivre
Si tu reposes près d’une aimée aux joues de tulipe
Puisque à la fin de tout tu seras le néant
Rêve que tu n’es plus, déjà… sois heureux.
(CII)

En guise de conclusion, une note d’humour :

Bien que le vin ait déchiré mon voile,
Tant que vivra mon âme, je ne le délaisserai pas…
Mais, vraiment, ceux qui vendent le vin m’étonnent :
Que peuvent-ils acheter de meilleur que ce qu’ils vendent ?
(LXII)

Omar Khayyam est né vers 1040 à Nishapur, en Perse. Mathématicien, astronome, il est surtout connu comme l’auteur des Rubayat (Quatrains), dont divers manuscrits existent (en particulier, la Bodleian Library d’Oxford en détient un). Omar Khayyam serait mort vers 1123.
Il y a plusieurs traductions. J’ai choisi celle de Charles Grolleau, publiée aux Editions Champ Libre/ Ivrea, rééditée aux Editions Allia.


Par Etienne