Où les mots se déplacent sans attestation dérogatoire
Dans les chocs littéraires d’une vie, assurément, pour moi, Omar Khayyam occupe une place de choix. Je l’ai connu par l’intermédiaire d’un ces passeurs de littérature que j’affectionne, Guy Debord. Khayyam, comme Debord, est un amateur de vin. Il est le chantre de l’ivresse :
Bois du vin… c’est lui la vie éternelle
C’est le trésor qui t’est resté des jours
de ta jeunesse
La saison des roses et du vin, et des
compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c’est
ta vie.
(Quatrains, XXXVI)
Mais il est loin de n’être que cela ;
c’est aussi un mécréant :
Une cruche de vin, les lèvres de l’aimée,
sur le bord d’une pelouse
Ont tari mon argent, ont ruiné ton crédit
Toute la race humaine est vouée au Ciel ou
à l’Enfer
Mais qui jamais est allé en Enfer, qui
jamais revint du Ciel ?
(XLV)
qui n’hésite pas à apostropher Dieu :
Sur la route où je vais, en mille endroits,
tu mets des pièges
Tu dis : « Je te prendrai si tu y
mets le pied »
Pas un atome du monde n’échappe à ton
pouvoir
Tu ordonnes toutes choses, et tu m’appelles
révolté !
(CXLVIII)
un homme qui aspire au bonheur :
Ce que je veux, c’est une goutte de
vin couleur de rubis et un livre de vers
Et la moitié d’un pain, assez pour soutenir
ma vie
Et si je suis alors assis près de toi, même
en quelque lieu désert et désolé
Je serai plus heureux que dans le royaume
d’un sultan.
(CXLIX)
Il pense à la mort sans en avoir peur, en
profitant de l’instant :
Sois heureux, Khayyam, si tu es ivre
Si tu reposes près d’une aimée aux joues de
tulipe
Puisque à la fin de tout tu seras le néant
Rêve que tu n’es plus, déjà… sois heureux.
(CII)
En guise de conclusion, une note
d’humour :
Bien que le vin ait déchiré mon voile,
Tant que vivra mon âme, je ne le
délaisserai pas…
Mais, vraiment, ceux qui vendent le vin
m’étonnent :
Que peuvent-ils acheter de meilleur que ce
qu’ils vendent ?
(LXII)
Omar Khayyam est né vers 1040 à Nishapur,
en Perse. Mathématicien, astronome, il est surtout connu comme l’auteur des Rubayat (Quatrains), dont divers
manuscrits existent (en particulier, la Bodleian Library d’Oxford en détient
un). Omar Khayyam serait mort vers 1123.
Il y a plusieurs traductions. J’ai choisi
celle de Charles Grolleau, publiée aux Editions Champ Libre/ Ivrea, rééditée
aux Editions Allia.
Par Etienne