Où les mots se déplacent sans attestation dérogatoire
Vous aurez bientôt dix-sept ans. Le bac’ en poche vous fréquentez une école d’art où l'on peut encore boire et fumer librement. C’est une ville jaune et verte mais de garnison. C’est l’est, c’est la pluie, c’est Verlaine aussi. Par un ami inspiré vous découvrez Steinbeck, Faulkner, Camus. Vous voyez la grisaille s’illuminer. Et un beau jour vous vous retrouvez né à nez avec ce quatrième de couverture :
« C’est maintenant l’automne de ma seconde année à
Paris. On m’y a envoyé pour une raison dont je n’ai jamais pu sonder la
profondeur.
Je n’ai pas d’argent, pas de ressources, pas d’espérances.
Je suis le plus heureux des hommes au monde. Il y a un an, il y a six mois, je
pensais que j’étais un artiste. Je n’y pense plus, je suis ! Tout ce qui
était littérature s’est détaché de moi. Plus de livres à écrire, Dieu
merci !
Et celui-ci alors ? Ce n’est pas un livre. C’est un
libelle, c’est de la diffamation, de la calomnie. Ce n’est pas un livre au sens
ordinaire du mot. Non ! C’est une insulte démesurée, un crachat à la face
de l’Art, un coup de pied au cul à Dieu, à l’Homme, au Destin, au Temps, à la
Beauté, à l’Amour !... à ce que vous voudrez. »
En écho au petit billet sur René Char d’il y a quelques
jours à vol d’oiseau, les lignes suivantes extraites de l’essai de Henry Miller
sur Rimbaud « Le temps des assassins » :
"« Les oiseaux d’or qui voltigent dans la pénombre de
ses poèmes ! » D’où sont venus ces oiseaux d’or de Rimbaud ? Et où
vont-ils ? Ce ne sont ni des colombes ni des vautours ; leur demeure
est dans les sphères. Ce sont des messagers privés, éclos des ténèbres, et qui
ont pris leur essor dans la lumière des illuminations. Ils rejettent toute
comparaison avec les autres créatures de l’air et ne sont pas non plus des
anges. Ce sont les oiseaux migrateurs de soleil en soleil. Ils ne sont pas
prisonniers des poèmes : ils s’en échappent, s’élèvent sur les ailes de
l’extase et disparaissent dans les flammes.
Voué à l’extase, le poète est semblable à un magnifique
oiseau sans nom, enlisé dans les cendres de la pensée. S’il réussit à se
libérer, c’est pour, dans son essor, se sacrifier au soleil. Son rêve d’un
monde rénové n’est que la réverbération des battements de son sang fiévreux. Il
s’imagine qu’on va le suivre, mais il se retrouve tout seul en plein
ciel. […] Interprétez son œuvre comme vous l’entendez, expliquez sa vie à
votre guise, mais ne le prenez pas à la légère. L’avenir est entièrement à lui,
même s’il n’y a pas d’avenir. "
Henry Miller photographié par Man Ray © Man Ray 2015 Trust / Adagp
Henry Miller photographié par Man Ray © Man Ray 2015 Trust / Adagp
Par JFT